La Cour constitutionnelle de la République du Kosovo a statué sur la requête concernant l’affaire KI 161/21, soumise par Suzana Zogëjani Sekiraqa. Cette dernière, se fondant sur le paragraphe 7 de l’article 113 [Compétence et parties autorisées] de la Constitution de la République du Kosovo a contesté devant la Cour l’Arrêt [Pml.nr.310/2020] du 28 avril 2021 de la Cour Suprême en lien avec l’Arrêt [PAKR.nr.133/2020] du 3 juillet 2020 de la Cour d’Appel et avec l’Arrêt [PKR.nr.37/19] du 24 janvier 2020 du Tribunal de Première Instance de Prishtina.
La Cour, à la majorité, a décidé que (i) la requête est recevable pour examen au fond ; et (ii) a constaté que l’arrêt [Pml.nr.310/2020] du 28 avril 2021 de la Cour Suprême en lien avecl’arrêt [PAKR.nr.133/2020] du 3 juillet 2020 de la Cour d’Appel et l’arrêt [PKR.nr .37/19] du 24 janvier 2020 du Tribunal de Première instance de Prishtina, ne sont pas conformes aux paragraphes 1 et 4 de l’article 31 [Droit à un procès équitable et impartial] de la Constitution et à l’alinéa d) du paragraphe 3 de l’article 6 (Droit à un procès équitable) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
L’arrêt de la Cour précise que les circonstances de l’espèce, qui sont détaillées dans l’arrêt qui va être publié, sont liées à la condamnation de la requérante à vingt-cinq (25) ans d’emprisonnement pour le meurtre de son mari en 2018, à savoir le défunt A.S. Plus précisément, par l’arrêt [PKR.nr.37/19] du 24 janvier 2020 du Tribunal de première instance de Prishtina, la requérante a été reconnue coupable d’avoir commis l’infraction pénale de « Meurtre aggravé » , tel que défini aux alinéas 1.3 et 1.4 du paragraphe 1 de l’article 179 (Meurtre aggravé) du Code pénal de la République du Kosovo.
L’arrêt précise ensuite les circonstances qui ont précédé le développement de la procédure pénale contre la requérante, à savoir et entre autres le fait que (i) de 2007 à 2018, la requérante avait rapporté être victime de violences domestiques d’abord devant les institutions compétentes de la République du Kosovo puis devant les autorités de la République française; (ii) de 2010 à 2018, à différentes périodes, les autorités françaises leur avaient fourni, à elle et à ses enfants, un refuge; (iii) en 2018, le Tribunal de Lyon en France avait déclaré A.S., aujourd’hui décédé, coupable de violence domestique et l’avait condamné puis l’avait libéré sous caution ; et (iv) le 21 septembre 2018, A.S., avait été assassiné par la requérante laquelle était ensuite retournée au Kosovo avec ses enfants, où elle s’était présentée à l’Ambassade de France au Kosovo. Le 4 octobre 2018, elle avait été arrêtée par les autorités compétentes de la République du Kosovo. La procédure pénale dans les circonstances de cette affaire s’est conclu par la publication de l’arrêt contesté [Pml.nr.310/220] du 28 avril 2021 de la Cour suprême.
Dans la procédure devant les tribunaux ordinaires, la requérante n’avait pas contesté l’acte pour lequel elle était accusée. Cependant, au cours de la procédure pénale à son encontre, elle a continuellement, et entre autres, demandé (i) un examen psychiatrique ; ( ii) une confrontation avec les témoins dont les dépositions avaient été recueillies par les autorités françaises, mais n’avaient été lues qu’au cours de l’audience principale de la procédure pénale et la requérante n’avait eu l’occasion de confronter ceux-ci à aucun stade de la procédure pénale; (iii) la prise en compte des témoignages, y compris ceux des autorités françaises concernant le fait qu’elle a été victime de violences domestiques ; et contesté (iv) l’interrogatoire de son fils, à savoir, X.X, mineur, comme témoin lors de la procédure devant le Tribunal de Première Instance, sans accompagnement professionnel, à savoir sans la présence d’un psychologue. Les requêtes et/ou allégations de la requérante avaient été rejetées par les tribunaux ordinaires. En conséquence, la requérante soulève les mêmes allégations devant la Cour, contestant les arrêts respectifs des tribunaux ordinaires, alléguant que ceux-ci ont été rendus en violation des garanties procédurales définies par l’article 31 [Droit à un Procès équitable et impartial] de la Constitution en relation avec l’article 6 (Droit à un procès équitable) de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, en mettant l’accent sur la violation du principe constitutionnel de l’égalité des armes.
Dans le cadre des allégations de la requérante, la Cour (i) a d’abord développé les principes généraux concernant le principe de l’égalité des armes sur la base de sa jurisprudence et de celle de la Cour européenne des Droits de l’Homme, y compris les principes pertinents découlant de la Convention du Conseil de l’Europe sur la Prévention et la Lutte contre la Violence à l’égard des Femmes et la Violence domestique (Convention d’Istanbul) et la Convention relative aux Droits de l’Enfant, directement applicables dans l’ordre juridique de la République du Kosovo et primant sur les lois applicables, et (ii ) a ensuite appliqué ces principes dans les circonstances spécifiques de l’affaire concrète. Selon les éléments détaillés dans l’Arrêt de la Cour, la Cour a entre autres d’abord souligné que, sur la base des garanties constitutionnelles et de celles définies dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme toute personne accusée d’une infraction pénale a le droit d’ interroger les témoins et de demander la comparution obligatoire de témoins, d’experts et d’autres personnes susceptibles d’éclaircir les faits, garanties qui sont définies dans les lois applicables de la République du Kosovo.
Dans les circonstances de l’espèce et dans le contexte du principe constitutionnel de l’égalité des armes, la Cour a, entre autres, souligné que dans les procédures judiciaires devant les tribunaux ordinaires dans ce procès pénal, le parquet et la défense n’ont pas été traités également, entre autres, compte tenu du fait que (i) à aucun stade de la procédure pénale la requérante et/ou sa défense n’ont pû confronter les témoins ou les dépositions de ces derniers, les déclarations desquels avaient été lues durant la procédure judiciaire mais que, sur la base de la réflexion conduite par les tribunaux ordinaires, contrairement aux garanties constitutionnelles et à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, aucune mesure procédurale n’avait été prise pour que la requérante puisse bénéficier d’une telle possibilité ; (ii) les demandes de la requérante et/ou de sa défense de produire les preuves, y compris celles des autorités françaises, sur la base desquelles il aurait pû être prouvé qu’elle a été victime de violences domestiques, ont été rejetées par toutes les instances judiciaires ; et (iii) dans les circonstances spécifiques de l’espèce, le refus continu des tribunaux ordinaires de procéder à l’examen psychiatrique de la requérante est contraire aux garanties établies dans le contexte des circonstances spécifiques de l’espèce par la pratique judiciaire de la Cour européenne des Droits de l’Homme, entre autres, dans l’arrêt Gaggl c. Autriche, d’autant plus en tenant compte du fait que la réflexion conduite par le Tribunal de première instance lui-même utilise un langage préjudiciable à l’ encontre de la requérante.
En outre, et c’est important, l’Arrêt détaille les principes et normes applicables, y compris par le biais d’instruments internationaux, dans les cas où des mineurs témoignent dans le cadre d’une procédure judiciaire. Se référant (i) à l’article 50 [Droits de l’Enfant] de la Constitution, (ii) à l’article 3 (sans titre) de la Convention relative aux Droits de l’Enfant, (iii) aux obligations découlant de l’article 18 (Obligations générales) de la Convention d’Istanbul et (iv) à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la Cour a souligné le fait que toutes les autorités publiques, y compris les tribunaux, ont l’obligation de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une procédure pénale et que, dans les circonstances de l’espèce, les tribunaux avaient manqué à cette obligation, compte tenu , entre autres, du fait que le mineur X.X. était le seul témoin oculaire dans les circonstances de l’affaire concrète, dans un contexte où il a témoigné dans une affaire pénale liée au meurtre de son père et pour laquelle sa mère était accusée, et que celui-ci a été interrogé sans accompagnement professionnel, c’est-à-dire sans la présence d’un psychologue et/ou d’un professionnel en la matière. La Cour a souligné qu’à l’égard des obligations positives définies par la Constitution et les instruments internationaux, y compris la jurisprudence pertinente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la première considération et la plus importante pour toutes les autorités publiques, y compris le système judiciaire.
Sur la base de ce qui précède, la Cour a conclu que les Arrêts respectifs des tribunaux ordinaires ont été rendus en violation du principe constitutionnel de l’égalité des armes et, par conséquent, en violation des garanties procédurales énoncées aux paragraphes 1 et 4 de l’article 31 [Droit à un Procès équitable et impartial] de la Constitution relatif à l’alinéa d) du paragraphe 3 de l’article 6 (Droit à un procès équitable) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En conséquence, la Cour les a déclarés invalides et a renvoyé l’affaire pénale correspondante au tribunal de première instance de Prishtina pour un nouveau procès.
Enfin, la Cour a souligné le fait que les effets de cet arrêt ne sont liés qu’aux constatations en termes de garanties procédurales contenues dans les articles précités de la Constitution et de la Convention européenne des Droits de l’Homme, quant à la violation du principe de l’égalité des armes dans le contexte de la procédure pénale développée et que la Cour ne préjuge en rien des mérites ou du déroulement de la procédure pénale, dans la procédure de révision , ces questions relevant de la pleine compétence du tribunal de première instance de Prishtina, conformément aux dispositions pertinentes du Code Pénal et du Code de Procédure Pénale de la République du Kosovo.
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