La Cour Constitutionnelle de la République du Kosovo a statué dans l’affaire KO46/23, avec les requérants Abelard Tahiri et neuf (9) autres députés de l’Assemblée de la République du Kosovo, soumise à la Cour Constitutionnelle en vertu des autorisations du paragraphe 5 de l’article 113 [Juridiction et parties autorisées] de la Constitution de la République du Kosovo, concernant l’appréciation de la constitutionnalité de la Loi no. 08/L-121 du Bureau d’État pour la Vérification et la Confiscation des Avoirs Injustifiés.
La Cour a décidé, à l’unanimité, de (i) déclarer la requête recevable ; et (ii) de constater, par huit (8) voix pour et une (1) voix contre, que l’alinéa 2.1 du paragraphe 2 de l’article 2 (Portée) en relation avec le paragraphe 2 de l’article 34 (Examen en première instance) de la Loi contestée, n’est pas conforme au paragraphe 1 de l’article 7 [Valeurs] de la Constitution et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en liaison avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole n° 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; (iii) de constater, par huit (8) voix pour et une (1) voix contre, que l’alinéa 2.2 du paragraphe 2 de l’article 2 (Portée) en relation avec le paragraphe 3 de l’article 22 (Délai de vérification des biens) de la Loi contestée, n’est pas conforme au paragraphe 1 de l’article 7 [Valeurs] de la Constitution ; (iv) de constater, par six (6) voix pour et trois (3) voix contre, que l’alinéa 1.1 du paragraphe 1 de l’article 10 (Composition de la Commission de Surveillance et Indemnisation) de la Loi contestée, n’est pas conforme à l’article 106 [ Incompatibilité] de la Constitution ; (v) de constater, par huit (8) voix pour et une (1) voix contre, que l’alinéa 1.2 du paragraphe 1 de l’article 10 (Composition de la Commission de Surveillance et Indemnisation) de la Loi contestée, n’est pas conforme au paragraphe 1 de l’article 136 [Vérificateur général du Kosovo] et des paragraphes 1 et 2 de l’article 137 [Pouvoirs du Vérificateur général du Kosovo] de la Constitution ; (vi) de constater, par six (6) voix pour et trois (3) voix contre, que l’alinéa 1.4 du paragraphe 1 de l’article 10 (Composition de la Commission de Surveillance et Indemnisation) de la Loi contestée, n’est pas conforme au paragraphe 1 de l’article 132 [Rôle et pouvoirs de l’Avocat du Peuple] et du paragraphe 3 de l’article 134 [Qualification, Élection et Révocation de l’Avocat du Peuple] de la Constitution ; et (vii) de déclarer invalide, par cinq (5) voix pour et quatre (4) voix contre, dans son intégralité, la Loi no. 08/L-121 du Bureau d’État pour la Vérification et la Confiscation des Avoirs Injustifiés.
L’Arrêt précise tout d’abord que le Bureau d’État pour la Vérification et la Confiscation des Avoirs Injustifiés (ci-après Bureau d’État) est créé par la Loi contestée, en incluant dans l’ordre juridique de la République du Kosovo la notion de confiscation civile des avoirs injustifiés, respectivement et en substance, la confiscation des avoirs sans qu’il soit nécessaire de prouver par procédure pénale que les avoirs en question ont été acquis par la commission d’une infraction pénale. À cette fin, la Loi contestée définit la procédure de vérification et de confiscation des biens acquis de manière injustifiable par des agents publics et des tiers, à savoir toute personne physique ou morale à laquelle les biens des agents publics ont été transférés ou qui a ou aurait pu avoir un intérêt juridique dans les biens des parties à la procédure. Selon les dispositions de la Loi contestée, les biens acquis de manière injustifiée sont soumis à vérification à compter du 17 février 2008 et en principe, dans un délai de dix (10) ans à compter du moment où les agents publics concernés cessent d’exercer leurs fonctions, étant précisé que la vérification des avoirs peut exceptionnellement être soumise à la vérification du patrimoine acquis après la fin de l’exercice de la fonction publique. Le Bureau susmentionné a pouvoir d’ évaluer le patrimoine de chaque agent public par rapport aux revenus légaux et en cas d’estimation de divergence entre les revenus et la richesse supérieure à vingt-cinq mille (25.000) euros, il peut proposer la sécurisation des biens par une mesure provisoire puis leur confiscation après décision de justice pertinente. Considérant que la procédure de vérification et de confiscation des avoirs injustifiables est indépendante de la procédure pénale, le niveau de preuve n’est pas celui de droit pénal de “ soupçon fondé ”, mais celui civil de “ l’appréciation des probabilités ” et selon lequel, les avoirs sont qualifiés de in/justifiés si la Cour, sur la base des preuves, “estime qu’une chose est plus susceptible de se produire ou de s’être produite que de ne pas s’être produite”. En outre, même si le Bureau d’État a la charge initiale de faire valoir que les biens dont la confiscation est proposée sont injustifiés, la charge de faire valoir que les biens sont en fait justifiables incombe à l’individu. Il convient également de noter que si le Bureau d’État a tout pouvoir pour vérifier et proposer la confiscation des biens, ce sont les tribunaux qui ont le pouvoir de décider si les biens litigieux sont sujets à confiscation ou non. L’Arrêt précise également que, aux fins de vérifier et de proposer la confiscation des avoirs injustifiés, la Loi contestée crée le Bureau d’État, qui est dirigé par le Directeur Général avec un mandat de sept (7) ans, tout en étant supervisé par une Commission de Surveillance composée (i) d’ un juge de la Cour Suprême nommé par le Président de la Cour Suprême, en qualité de Président de la Commission ; (ii) du Vérificateur général ; (iii) du Directeur de l’Agence de Prévention de la Corruption ; (iv) de l’Avocat du Peuple Adjoint ; et (v) du Directeur de la Cellule de Renseignement Financier. Cette Commission, qui décide à la majorité des membres dans le cadre d’un quorum décisionnel de quatre (4) membres, exerce l’entière autorité de surveillance sur toutes les fonctions du Bureau d’État, y compris l’approbation de tous les règlements administratifs.
L’essentiel des allégations des requérants est lié à la violation (i) des principes de l’État de droit et du principe de sécurité juridique, en tant que valeurs essentielles de l’ordre constitutionnel ; et (ii) des droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution, y compris les instruments internationaux applicables. En substance, les requérants présentent trois catégories d’affaires devant la Cour. Premièrement, ils affirment que les mécanismes établis par la Loi contestée sur la vérification et la confiscation des avoirs n’offrent pas de garanties suffisantes pour la protection des droits et libertés fondamentaux, notamment dans le contexte (i) de l’égalité devant la loi, compte tenu du fait que la loi applicable fait une distinction entre les agents publics et les autres citoyens de la République du Kosovo ainsi qu’entre les agents publics qui ont exercé des fonctions avant et après le 17 février 2008 ; (ii) des garanties procédurales liées à la vérification et à la confiscation des biens, y compris le droit à un procès équitable et impartial, à savoir l’égalité des armes, la présomption d’innocence, la charge de la preuve, le droit contre l’auto- incrimination et les recours juridiques ; et (iii) des droits de propriété des personnes sujettes à vérification. Deuxièmement, ils affirment que l’application rétroactive de la loi, au-delà de la violation des droits et libertés fondamentaux, viole également le principe de sécurité juridique et les valeurs de la Constitution. Troisièmement, ils dénoncent une violation des pouvoirs de l’Assemblée en matière de surveillance des Agences indépendantes, car dans les circonstances de l’espèce, le pouvoir de surveillance de l’Assemblée a été transféré à une Commission de surveillance, qui est en outre caractérisé par une incompatibilité constitutionnelle des fonctions, l’accent étant mis sur l’Avocat du Peuple adjoint, tout en soulignant également le manque d’indépendance du Bureau d’État, y compris dans le contexte de la méthode d’élection de son Directeur général.
Le ministère de la Justice et le groupe parlementaire du mouvement VETËVENDOSJE! s’opposent en substance aux allégations des requérants, soulignant que (i) la Loi contestée contient des garanties procédurales suffisantes pour la protection des droits et libertés fondamentaux et que le contenu de celle-ci a également été évalué positivement par les Avis de la Commission de Venise ; (ii) la distinction entre les agents publics et les autres citoyens de la République du Kosovo répond à un objectif légitime de lutte contre la corruption dans le secteur public ; en outre, l’application rétroactive de la loi n’est pas contraire au principe de sécurité juridique ; et (iii) précisent que la date du 17 février 2008 est également liée à la “ circulation légale des biens à travers les transactions bancaires ”, et qu’aux fins de cette loi, elle constitue une preuve décisive en matière de vérification des biens ; (iv) la création de la Commission de Surveillance ne porte pas atteinte au pouvoir de surveillance de l’Assemblée, d’autant plus que, le transfert du pouvoir d’élection du Directeur Général de l’Assemblée à la Commission de Surveillance, comme mécanisme anti-blocage au cas où la procédure d’élection du Directeur échoue à l’Assemblée, est une solution conforme aux recommandations de la Commission de Venise.
La Cour, dans son Arrêt, notamment à la lumière de l’élaboration du concept de confiscation civile de biens injustifiés sur la base de la norme internationale et de la pratique des pays qui appliquent la confiscation civile, a d’abord souligné l’importance du but légitime de la Loi contestée en termes d’intérêt public et de lutte contre la corruption dans le secteur public. Cela dit, en termes d’évaluation et d’examen des allégations des requérants, ainsi que des contre-arguments des parties intéressées, l’Arrêt, entre autres, développe également (i) les principes généraux liés à la notion de confiscation civile d’avoirs injustifiés selon la pratique internationale ; (ii) la pratique judiciaire de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) relative à la confiscation des avoirs et à la charge de la preuve, y compris dans le contexte d’une “ ingérence ” dans les droits de propriété des individus à la suite d’une confiscation des avoirs en procédure civile; (iii) les documents pertinents approuvés au niveau des Nations Unies, de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, y compris tous les avis de la Commission de Venise concernant la confiscation civile des avoirs, en mettant l’accent sur les aspects liés aux arrangements institutionnels et aux garanties pour les commissions/agences responsables de la confiscation civile d’avoirs injustifiés et les questions liées à la charge de la preuve et à l’applicabilité rétroactive de la loi ; et (iv) deux (2) Avis de la Commission de Venise sur le Kosovo concernant la Loi contestée, approuvés respectivement les 17 et 18 juin 2022 et les 16 et 17 décembre 2022.
À la lumière des principes mentionnés ci-dessus, y compris des arguments et contre-arguments des parties, aux fins du présent résumé, seront présentées ci-dessous les conclusions les plus essentielles de l’Arrêt relatives à trois catégories représentatives de questions, à savoir ( i) la portée de la Loi contestée en matière d’égalité devant la loi, de sécurité juridique et de proportionnalité de l’application rétroactive de la loi par rapport à la charge de la preuve incombant à l’individu ; (ii) les garanties procédurales dans le cadre de la vérification et/ou de la confiscation d’avoirs injustifiés ; et (iii) les questions institutionnelles, à savoir les mécanismes de surveillance du Bureau d’État, y compris la non/compatibilité des fonctions constitutionnelles des membres de la Commission de surveillance.
(i) Portée de la loi – égalité devant la loi, sécurité juridique et proportionnalité de l’application rétroactive de la loi par rapport à la charge de la preuve incombant à l’individu
L’Arrêt précise tout d’abord que, en ce qui concerne la portée de la Loi contestée, celle-ci s’applique en principe aux biens acquis de manière injustifiable, pendant la période d’exercice de la fonction publique à compter du 17 février 2008 et dans un délai de dix (10) ans à compter du moment où les agents publics concernés cessent d’exercer leur fonction et qui, exceptionnellement, peuvent également être soumis à la vérification des biens acquis après la période d’exercice de la fonction publique, mais au plus tard cinq (5) ans après la fin de l’exercice de la fonction publique. Selon les précisions fournies, ces arrangements soulèvent essentiellement trois questions de niveau constitutionnel, à savoir (a) le principe de l’égalité devant la loi entre les citoyens de la République du Kosovo, étant donné que seuls les agents publics et les tiers ayant un lien avec ces derniers sont soumis à la vérification patrimoniale, ainsi que de l’égalité devant la loi entre les agents publics, en ayant en considération que seuls les biens acquis par les agents publics après le 17 février 2008 sont soumis à la vérification; (b) le principe de sécurité juridique dans le cadre de l’applicabilité rétroactive de la Loi contestée à compter du 17 février 2008, y compris en ce qui concerne la charge de la preuve, qui, après la proposition de confiscation des avoirs par le Bureau d’État, tombe rétroactivement sur l’individu; et (c) le principe de sécurité juridique dans le contexte de la “ clarté ” et de la “ prévisibilité ” des dispositions de la Loi contestée, qui régulent la période de vérification des avoirs injustifiés pendant l’exercice et après l’achèvement de l’exercice de fonction publique des sujets concernés. Les évaluations et conclusions de la Cour liées aux questions ci-dessus seront résumées ci-dessous.
(a) Égalité devant la loi entre les agents publics et les tiers par rapport aux autres citoyens de la République en ce qui concerne la vérification d’avoirs injustifiés, y compris avant et après le 17 février 2008
Dans le contexte de l'(in)égalité de traitement entre les agents publics et les tiers, par rapport aux autres citoyens de la République en ce qui concerne la vérification des avoirs injustifiés, y compris avant et après le 17 février 2008, l’Arrêt, en se basant sur la pratique judiciaire de la Cour et celle de la CEDH, précise tout d’abord que les catégories susmentionnées se trouvent dans des “ situations relativement similaires et/ou analogues ” et que la Loi contestée traite ces catégories de manière différente, entraînant une “ différence de traitement ”. Cela dit, selon les précisions apportées dans l’Arrêt, cette “ différence de traitement ” n’entraîne pas une violation du principe d’égalité devant la loi car elle répond à un “ but légitime ” d’intérêt public et est “ proportionnée ” au but poursuivi, entre autres, parce que, fondée sur l’intérêt public de lutte contre la corruption dans le secteur public, la Loi contestée se concentre sur la catégorie de citoyens qui ont été payés par le budget de l’État, à savoir par les contribuables de la République du Kosovo.
(b) application rétroactive de la loi en ce qui concerne la charge de la preuve liée à la non/justificabilité des avoirs
Dans le contexte de l’applicabilité rétroactive de la Loi contestée au regard du principe de sécurité juridique, l’Arrêt, fondé sur la jurisprudence de la CEDH, les avis de la Commission de Venise concernant le système civil de confiscation d’avoirs injustifiés et la jurisprudence d’autres Cours constitutionnelles, stipule qu’en principe, l’application rétroactive de la loi dans le domaine du droit civil et administratif est exceptionnellement possible, dans la mesure où elle est dans l’intérêt général public et est proportionnée au but poursuivi. Selon les précisions apportées, l’applicabilité rétroactive de la Loi contestée dans le cadre de la vérification d’avoirs injustifiés, est dans l’intérêt public de la lutte contre la corruption. Cette dernière nécessite non seulement d’agir dans le futur mais aussi de lutter contre l’acquisition illégale de richesses dans le passé d’autant plus que dans de telles circonstances, on n’intervient pas exclusivement dans les événements passés mais dans les faits en cours, car la possession de richesses illégales a commencé dans le passé, mais elle continue encore, alors que l’attente de l’individu de pouvoir conserver les avoirs acquis illégalement ne pèse pas par rapport à l’intérêt public dans la lutte contre la corruption.
Cela dit et selon les précisions apportées, il est contesté que l’application rétroactive de la loi pour une période supérieure à quinze (15) ans, à savoir à compter du 17 février 2008, soit proportionnée aux droits et libertés fondamentaux des personnes sujettes à la vérification dans le cadre de la charge de la preuve et qui, selon la pratique judiciaire de la CEDH, mais aussi des avis de la Commission de Venise, est nécessaire dans le contexte du caractère raisonnable et/ou de la “ capacité objective ” de l’individu à fournir et présenter les preuves nécessaires à l’appui de l’argumentation concernant la justification des biens soumis à vérification et/ou confiscation. Selon les précisions données dans l’Arrêt, tant que dans la proposition de confiscation des avoirs, le Bureau d’État s’appuie sur l’obligation de coopération de toutes les autorités publiques de la République du Kosovo, c’est à l’individu qu’incombe la charge du contre-argument, à savoir la charge de la preuve du caractère justifiable des avoirs, dans les circonstances où, la Loi contestée, contrairement aux lois similaires dans les États qui ont adopté le système de confiscation civile des biens, ne crée aucune garantie pour que l’individu puisse faire valoir “l’incapacité objective” de présenter une preuve dans un délai qui, en principe, dépasse les délais définis dans les lois applicables pour la conservation/sauvegarde des données/enregistrements et/ou l’accès à la documentation/preuve nécessaire.
Selon les précisions apportées, pour évaluer la proportionnalité dans le contexte de la période d’applicabilité rétroactive de la Loi contestée et la charge de la preuve qui incombe à l’individu, qui repose sur l’appréciation des probabilités, respectivement selon la définition de la loi, dans la conviction selon laquelle “ une chose est plus susceptible de se produire ou de s’être produite que de ne pas s’être produite”, l’Arrêt stipule, entre autres, le contexte de l’édification de l’État de la République du Kosovo, y compris l’approbation et les caractéristiques des lois applicables qui sont pertinentes pour prouver le rapport entre les revenus légaux et la richesse acquise en considérant (i) le système d’imposition sur le revenu; (ii) le système de retraite ; (iii) l’obligation légale de faire circuler l’argent par transactions bancaires ; (iv) la déclaration du patrimoine ; et (v) la confiscation des biens obtenus par une infraction pénale. Selon les précisions apportées, il résulte en principe que les lois applicables ne définissent pas les obligations de conservation des données pour une durée supérieure à dix (10) ans et qui, par conséquent, dépasse la période d’application rétroactive de la Loi contestée. Par conséquent, selon les précisions fournies, même si la Loi contestée poursuit le but légitime d’intérêt public, celle-ci, selon l’appréciation de la Cour, ne reflète pas un équilibre raisonnable entre l’État et l’individu, entre autres parce que ( i) la période d’applicabilité rétroactive de la loi dépasse, en principe, les délais définis dans les lois pertinentes applicables dans le cadre de la tenue des registres et/ou des données, (ii) dans des circonstances dans lesquelles l’ensemble de l’administration publique est obligée de coopérer avec le Bureau, alors que la charge de la preuve du caractère justifiable des avoirs litigieux incombe à l’individu, lequel (iii) ne bénéficie pas d’une garantie procédurale raisonnable, sur la base de laquelle, il pourrait faire valoir devant le tribunal compétent « l’incapacité objective » d’ obtenir et/ou présenter des preuves en faveur de la justificabilité des avoirs soumis à vérification et/ou confiscation.
En conséquence, la Cour a jugé que l’alinéa 2.1 du paragraphe 2 de l’article 2 (Portée), en relation avec le paragraphe 2 de l’article 34 (Examen en première instance) de la Loi contestée, n’est pas conforme au paragraphe 1 de l’article 7 [Valeurs] de la Constitution et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en liaison avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole no. 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Selon les précisions apportées dans cet Arrêt, dans le traitement de violation contestée comme ci-dessus, par des modifications et/ou des compléments aux dispositions susmentionnées, l’Assemblée doit veiller à ce que l’application rétroactive de la loi soit équilibrée et/ou proportionnelle à la charge de la preuve , ou (i) déterminer des périodes rétroactives raisonnables sur la base de l’analyse et de l’évaluation des lois applicables de la République du Kosovo, y compris dans le contexte de l’accès aux données pertinentes pour prouver la non/justificabilité du patrimoine ; et/ou (ii) par la définition de garanties procédurales dans le cadre de la charge de la preuve incombant à l’individu, ce qui permettrait à ce dernier d’argumenter devant les tribunaux compétents sur « l’incapacité objective » de fournir les preuves pertinentes.
(c) principe de sécurité juridique dans le contexte de la “ clarté ” et de la “ prévisibilité ” des dispositions de la Loi contestée, qui régulent la période de vérification des biens immobiliers pendant l’exercice et après la fin des fonctions des agents publics concernés
L’Arrêt stipule que, sur la base de la pratique judiciaire de la CEDH, le processus de vérification et/ou de confiscation des avoirs constitue une “ ingérence ” dans les droits de propriété de l’individu et, en tant que tel, doit être défini par la loi et proportionné au but poursuivi. Dans ce contexte, l’Arrêt stipule également la nécessité de “ clarté ” et de “ prévisibilité ” des dispositions juridiques susceptibles d’affecter rétroactivement les droits de propriété de l’individu, y compris dans le contexte des circonstances de l’espèce. Selon les précisions apportées, la Loi contestée détermine la possibilité de vérification et/ou de confiscation des biens acquis pendant et exceptionnellement après l’exercice de la fonction, ce qui, de l’avis de la Cour, est également dans l’intérêt général de lutte contre la corruption dans le secteur public. Cela dit, selon les précisions apportées, dans le cadre de la période pendant laquelle le patrimoine peut faire l’objet de vérification et/ou de confiscation, les dispositions respectives de la Loi contestée, entre autres, ne précisent pas de manière précise et prévisible le moment où les périodes pendant lesquelles les biens acquis peuvent faire l’objet d’une vérification, y compris les périodes pendant lesquelles la procédure de vérification des biens peut être engagée, tant pour les biens acquis pendant l’exercice de la fonction que pour les biens acquis après la fin de la fonction concernée. Selon les précisions apportées, le manque de clarté permet aux autorités publiques, y compris au Bureau d’État, d’interpréter à leur entière discrétion les délais fixés dans la Loi contestée, en violation du principe de sécurité juridique et des droits et libertés fondamentaux des individus, y compris en leur rendant impossibles à régler de manière appropriée leur comportement et les attentes qui y sont liées.
En conséquence, la Cour a conclu que l’alinéa 2.2 du paragraphe 2 de l’article 2 (Portée) en relation avec le paragraphe 3 de l’article 22 (Délai de vérification des biens) de la Loi contestée, n’est pas conforme au paragraphe 1 de l’article 7 [Valeurs ] de la Constitution. Selon les précisions données dans cet Arrêt, pour traiter cette violation, l’Assemblée, à travers des modifications et/ou complément des dispositions susmentionnées, doit garantir que les normes qui déterminent les délais dans lesquels le Bureau d’État peut vérifier les avoirs acquis pendant et après l’exercice de la fonction, y compris celles dans le cadre desquelles des enquêtes et des procédures connexes peuvent être engagées, doivent être parfaitement « claires » et « prévisibles ».
(ii) Garanties procédurales dans le cadre de la vérification et/ou de la confiscation d’avoirs injustifiés
L’Arrêt précise que la Loi contestée régule, entre autres, la procédure de vérification et de confiscation des avoirs injustifiés, y compris les droits et obligations des parties à la procédure et les autorisations du Bureau d’État, y compris dans le contexte (i) de l’initiation de la procédure; (ii) de la collecte des informations à des fins de vérification ; (iii) de l’obligation de coopérer ; (iv) des procédures devant les tribunaux ordinaires ; et (v) des voies de recours légaux et de la protection judiciaire des droits. L’Arrêt analyse et clarifie toutes les questions susmentionnées dans le contexte des garanties découlant des articles 31 [Droit à un procès équitable et impartial], 32 [Droit à un recours judiciaire], 36 [Droit à la vie privée] et 54 [Protection judiciaire des droits ] de la Constitution, mais aussi de celles découlant de la pratique judiciaire de la CEDH et des avis de la Commission de Venise, et estime en principe que la Loi contestée, conjointement avec d’autres lois applicables, contient des garanties procédurales suffisantes pour les parties à la procédure.
Cela dit, compte tenu de la formulation des dispositions de la Loi contestée, l’Arrêt met l’accent sur trois questions principales, à savoir (i) le droit contre l’auto-incrimination ; (ii) le droit de la partie d’être informée de toutes les procédures élaborées dans le cadre de la vérification du patrimoine, y compris liées à la mise en place de mesures de sécurité dans le patrimoine contesté ; et (ii) le principe de sécurité juridique.
Concernant la première question, à savoir l’obligation de coopérer en ce qui concerne le droit contre l’ auto-incrimination, l’Arrêt précise, entre autres, que le Bureau d’État est créé en tant qu’Agence Indépendante conformément aux dispositions de l’article 142 [Agences Indépendantes] de la Constitution, sur la base de laquelle chaque organe, institution ou autre autorité qui exerce un pouvoir légitime dans la République du Kosovo est tenu de coopérer et de répondre aux requêtes pendant l’exercice de ses pouvoirs, conformément à la loi. Par conséquent, selon les précisions fournies, l’obligation définie par la Loi contestée dans le cadre de la coopération des autorités publiques avec le Bureau d’État n’est pas contestée. D’autre part et dans le cadre de l’obligation de coopération des individus, y compris des parties à la procédure, l’Arrêt précise, entre autres, que la loi contestée (i) établit la garantie sur la base de laquelle, pour les personnes physiques, y compris celles sujettes à vérification, l’obligation de coopération s’étend dans la mesure où “ le droit à la vie privée et le droit contre l’ auto-incrimination ne sont pas violés ” et que l’évaluation d’une telle proportion relève de la compétence du tribunal compétent ; et que, en outre, (ii) la conséquence du refus de coopérer, à savoir la possibilité de poursuites pénales pour l’infraction pénale de “ non-exécution de décision de justice ”, selon les dispositions du Code pénal, ne s’étend pas à la personne physique, mais uniquement aux autorités publiques et/ou aux personnes physiques et morales disposant d’autorisations publiques.
Concernant les deuxième et troisième questions, à savoir l’obligation d’informer la partie, y compris en ce qui concerne la mise en place de mesures de sécurité et le principe de sécurité juridique, l’Arrêt indique notamment que (i) la Loi contestée, en principe , offre une garantie suffisante dans le cadre du principe de l’égalité des armes et du contradictoire, car elle permet à la personne sujette à la vérification d’accéder aux informations reçues et traitées, tandis que la limitation de son accès ne peut être déterminée que par le tribunal compétent, cette décision pouvant susciter un appel par la personne concernée ; (ii) sur la base des principes issus de la jurisprudence de la CEDH, la partie doit être informée tout au long de la procédure, y compris dans le cadre des procédures suivies concernant l’imposition de mesures de sécurité sur le patrimoine contesté, et que l’imposition d’une mesure de sécurité sans notification préalable de la partie, n’est possible qu’exceptionnellement dans le cadre des strictes garanties découlant de la pratique judiciaire de la CEDH ; et (iii) compte tenu du principe de sécurité juridique, y compris l’obligation que les normes applicables soient « claires » et « prévisibles », les droits et obligations des parties à la procédure doivent être définis par la loi et non par des instructions administratives.
L’Arrêt précise enfin que l’appréciation de la Cour selon laquelle la Loi contestée offre, en principe, des garanties procédurales suffisantes aux parties en procédure, n’implique pas la légalité et/ou la constitutionnalité des décisions du Bureau d’État et/ou des tribunaux ordinaires. L’Arrêt met l’accent sur l’article 53 [Interprétation des dispositions relatives aux Droits de l’homme] de la Constitution, rappelant que toutes les autorités publiques sont tenues d’interpréter les droits et libertés fondamentaux conformément à la pratique judiciaire de la CEDH.
(iii) Surveillance du Bureau d’État – transfert de la surveillance de l’Assemblée à la Commission de Surveillance et non/compabilité des fonctions constitutionnelles des membres de cette Commission
Dans le contexte de l’organisation institutionnelle du Bureau d’État, l’Arrêt se concentre, entre autres, sur ses trois caractéristiques principales, à savoir (a) le statut du Bureau d’État dans le contexte de l’ordre juridique de la République du Kosovo, y compris le fait que celui-ci a été créé en vertu de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution, mais que le surveillance de l’exercice de ses fonctions n’est pas laissé au pouvoir de l’Assemblée de la République, mais à une Commission de surveillance composée de représentants d’ institutions et/ou agences indépendantes; (b) la composition de la Commission de Surveillance, y compris la conformité des fonctions constitutionnelles de ses membres par rapport à la nature des responsabilités de cette Commission et aux pouvoirs du Bureau d’État ; et (c) les modalités d’élection du Directeur Général du Bureau d’État.
(a) pouvoir de surveillance de l’Assemblée en ce qui concerne le statut du Bureau d’État
Dans le contexte de la création du Bureau d’État en tant qu’Agence indépendante, l’Arrêt met l’accent sur les principes constitutionnels liés à la forme de gouvernance et à la séparation des pouvoirs, tels qu’ils ont été élaborés dans la pratique judiciaire au fil des années, soulignant que, dans les circonstances de l’espèce l’autorité compétente pour le surveillance du Bureau d’État est contestée, à savoir si, en définissant l’exercice de la fonction de surveillance par une Commission indépendante, le pouvoir de surveillance de l’Assemblée à l’égard des agences indépendantes établies sur la base de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution a été violé. L’Arrêt note que les projets de la Loi contestée ont été évalués à deux reprises par la Commission de Venise, qui avait souligné que l’élection et la révocation du Directeur général du Bureau d’État pourraient bénéficier d’une commission externe au niveau d’experts, afin d’éviter la politisation de son élection à l’Assemblée, et avait également présenté l’alternative de créer un organe directeur pluraliste du Bureau d’État, composé de représentants d’institutions indépendantes, tandis que, par le biais du deuxième avis, la définition du pouvoir de surveillance à l’égard du Bureau d’État dans une Commission de surveillance indépendante a été évaluée comme une solution « appropriée ». Cela dit, selon les précisions apportées dans l’Arrêt, le pouvoir de surveillance de l’Assemblée à l’égard des institutions publiques est régulée par la Constitution et, dans le cadre du surveillance du Bureau d’État, l’interaction des articles 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] et 142 [Agences indépendantes] de la Constitution est pertinente.
Dans le contexte susmentionné, l’Arrêt précise que (i) sur la base de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution, les Agences indépendantes sont des institutions créées par l’Assemblée, sur la base des lois pertinentes, qui réglementent leur création, leur fonctionnement et leurs pouvoirs, tandis que cette disposition ne détermine pas nécessairement le pouvoir de surveillance de l’Assemblée à l’égard de ces agences ; tandis que (ii) sur la base de l’article 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] de la Constitution, l’Assemblée supervise les institutions publiques qui, en vertu de la Constitution et des lois, rendent compte à l’Assemblée. Selon les précisions fournies, même si, en principe, c’est l’Assemblée qui exerce la fonction de surveillance sur les Agences Indépendantes, l’Assemblée, conformément aux dispositions du paragraphe 9 de l’article susmentionné, y compris sur la base de la Loi no. 06/L-113 sur l’organisation et le fonctionnement de l’administration publique et des agences indépendantes, a également l’autorisation, par la loi pertinente pour la création de l’Agence indépendante, d’attribuer le pouvoir de surveillance à une autre structure ou à une commission de surveillance, comme c’est le cas dans les circonstances de la Loi contestée. Cela dit, dans la mesure où l’Assemblée décide de déterminer le pouvoir de surveillance d’une autre autorité, celle-ci doit être conforme aux dispositions constitutionnelles, y compris celles liées à la séparation et à l’interaction des pouvoirs. Selon les précisions apportées dans l’Arrêt et qui seront résumées ci-dessous, la composition de la Commission de surveillance du Bureau d’État, dans le cadre de ses pouvoirs, soulève des questions constitutionnelles liées, entre autres, à la conformité des fonctions constitutionnelles de ses membres.
(b) composition de la Commission de Surveillance dans le cadre de la conformité des fonctions constitutionnelles de ses membres par rapport à la nature des pouvoirs du Bureau d’État
L’Arrêt rappelle que la Commission de surveillance susmentionnée est composée (i) d’un juge de la Cour suprême du Kosovo, nommé par le Président de la Cour suprême, qui est également président de la Commission ; (ii)du Vérificateur général de la République du Kosovo ; (iii) du Directeur de l’Agence de Prévention de la Corruption ; (iv) de l’Avocat du Peuple adjoint, nommé par l’Avocat du Peuple ; et (v) du Directeur de la Cellule de Renseignement Financier. Les pouvoirs de la Commission de surveillance, selon la Loi contestée, sont étendus et comprennent, sans toutefois s’y limiter, (i) la supervision du travail et de toutes les activités du Bureau ; (ii) les propositions de nomination et de révocation du Directeur Général, y compris le pouvoir de l’ élection de celui-ci ; (iii) l’examen des rapports et l’évaluation des performances du Directeur général et la supervision de l’exercice de ses pouvoirs ; et (iv) l’approbation des règlements administratifs.
L’Arrêt précise en outre que l’Avocat du peuple adjoint, le Vérificateur général et le juge sont des catégories constitutionnelles et que les fonctions, pouvoirs, y compris l’incompatibilité de leurs fonctions, sont définis par la Constitution, y compris les lois applicables à chacune des catégories susmentionnées. Selon les précisions apportées dans l’Arrêt et dans l’analyse des pouvoirs constitutionnels de l’Avocat du Peuple, du Vérificateur général et du juge, en ce qui concerne la nature des pouvoirs qui leur sont attribués dans l’exercice de leurs fonctions de membres de la Commission de surveillance du Bureau d’État, y compris dans le contexte des principes découlant des avis pertinents de la Commission de Venise et du Conseil consultatif des Juges Européens du Conseil de l’Europe, la Cour a évalué que l’exercice des pouvoirs en tant que membres de la Commission de surveillance du Bureau d’État, composée de l’Avocat du peuple adjoint, du Vérificateur général et du juge de la Cour suprême, est incompatible avec leurs fonctions et pouvoirs tels que définis dans les dispositions respectives de la Constitution de la République du Kosovo.
Plus précisément, en ce qui concerne l’Avocat du Peuple, à savoir son adjoint, l’Arrêt développe les fonctions constitutionnelles et juridiques de l’Avocat du Peuple, y compris selon sa pratique judiciaire consolidée, en mettant l’accent sur le pouvoir de surveillance dont dispose cette institution en matière de protection des droits et des libertés des individus contre les actions ou inactions illégales et irrégulières des autorités publiques, y compris du Bureau d’État lui-même, conformément aux dispositions de l’article 132 [Rôle et pouvoirs de l’Avocat du Peuple] de la Constitution. L’Arrêt clarifie également le rôle de l’Avocat du Peuple adjoint dans l’institution de l’Avocat du Peuple, y compris le fait que, sur la base de la loi n° 05/L-109 sur l’Avocat du Peuple, des fonctions supplémentaires peuvent être attribuées à l’Avocat du Peuple. Cela dit, l’Arrêt stipule également que la Constitution de la République du Kosovo, à savoir le paragraphe 3 de l’article 134 [Qualification, élection et révocation de l’Avocat du Peuple], traite spécifiquement et de manière identique de l’incompatibilité des fonctions de l’Avocat du Peuple et de ses adjoints, déterminant, entre autres, qu’il ne peut pas exercer une activité politique, étatique ou professionnelle privée.
Selon les précisions apportées, le fait que l’Avocat du Peuple adjoint soit inclus en qualité de membre de la Commission de surveillance du Bureau d’État, à savoir le rôle de décision et de surveillance dans une institution publique qui, entre autres, sera responsable de la vérification des avoirs injustifiés et la proposition de confiscation en procédure civile, ce qui, y compris selon la pratique judiciaire de la CEDH, soulève des questions constitutionnelles essentielles dans l’équilibre entre l’intérêt public et les libertés et droits fondamentaux, soulève de graves questions de respect des dispositions constitutionnelles sur le mandat de l’Avocat du Peuple de superviser et de protéger les droits et libertés des individus contre les actions ou inactions illégales et irrégulières des autorités publiques, y compris du Bureau d’État lui-même. En effet, l’exercice du pouvoir de surveillance de l’Avocat du Peuple, conformément aux dispositions de l’article 132 [Rôle et pouvoir de l’Avocat du Peuple ] de la Constitution, inclurait une autorité publique dont la prise de décision est prise avec la participation de l’Avocat du Peuple lui-même, respectivement son adjoint.
Par conséquent et compte tenu (i) du pouvoir de surveillance de l’Avocat du Peuple à l’égard de toutes les autorités publiques dans le cadre des droits et libertés fondamentaux ; et (ii) de la nature des pouvoirs des membres de la Commission de surveillance du Bureau d’État, selon l’évaluation de la Cour, la participation de l’Avocat du Peuple adjoint à une Commission de surveillance, dotée de pouvoirs décisionnels étendus en ce qui concerne le Bureau d’État, violerait l’indépendance constitutionnelle de l’Avocat du peuple chargé de superviser le Bureau d’État dans le cadre du pouvoir constitutionnel spécifique concernant la protection des droits et libertés des individus contre les actions ou inactions illégales et irrégulières des autorités publiques.
En outre, et dans le contexte du Vérificateur général de la République du Kosovo, l’Arrêt développe les fonctions constitutionnelles et juridiques du Vérificateur général, en qualité de plus haute institution de surveillance économique et financière de la République du Kosovo, conformément aux dispositions de l’article 136 [Vérificateur général du Kosovo] de la Constitution, ainsi que le pouvoir de surveiller l’activité économique des institutions publiques et l’utilisation et la protection des fonds publics par les organes du gouvernement central et local, conformément aux dispositions de l’article 137 [Pouvoirs de l’Vérificateur général du Kosovo] de la Constitution. Selon les précisions fournies, le pouvoir du Vérificateur général de surveillance de l’activité des autorités publiques et l’utilisation des fonds publics par celles-ci ne dépend pas des dispositions des lois ni de la composition des organes de décision, car c’est une question qui est réglementée au niveau de la Constitution et qui s’applique à toutes les autorités publiques de la République du Kosovo, sans exception, et inclut donc le Bureau d’État lui-même.
Dans ce contexte, l’Arrêt stipule que la prise de décision du Vérificateur général, en qualité de membre de la Commission de surveillance, concernant les questions budgétaires du Bureau, violerait le devoir constitutionnel du Vérificateur général de surveiller l’activité économique du Bureau d’État, tel que défini à l’article 137 [Pouvoirs du Vérificateur général du Kosovo] de la Constitution. L’Arrêt rappelle que c’est précisément le rôle du Vérificateur général en tant qu’institution suprême de surveillance économique et financier de la République du Kosovo, qui a également donné lieu aux dispositions précises de la Loi applicable au Vérificateur général, selon lesquelles le Vérificateur général et ses employés ne peuvent exercer aucune autre fonction à aucun niveau du secteur public.
En conséquence et compte tenu (i) du pouvoir de surveillance du Vérificateur général à l’égard de toutes les autorités publiques dans le cadre du surveillance économique et financier ; et (ii) la nature des pouvoirs des membres de la Commission de surveillance du Bureau d’État, y compris le fait qu’ils évaluent également les performances du Directeur Général, l’examen de ses rapports de travail, y compris dans le cadre de la gestion budgétaire du Bureau, selon l’évaluation de la Cour, la participation du Vérificateur général à une commission de surveillance, dotée de pouvoirs décisionnels étendus, y compris en matière de gestion financière, violerait l’indépendance constitutionnelle du Vérificateur général pour superviser le Bureau d’État dans le contexte de la gestion et de l’utilisation des fonds publics conformément aux dispositions des articles 136 [de Vérificateur général du Kosovo] et 137 [Pouvoirs du Vérificateur général du Kosovo] de la Constitution.
Enfin et concernant le juge de la Cour suprême, en qualité de Président de la Commission de surveillance du Bureau d’État, l’Arrêt rappelle les principes qui découlent de la Constitution dans le contexte de la séparation et de l’interaction des pouvoirs, comme élaboré à travers sa pratique judiciaire au fil des années, y compris l’incompatibilité des fonctions de juge avec d’autres fonctions de l’État. Aux fins de cette analyse, l’Arrêt développe également, entre autres, (i) les principes et normes internationaux liés à l’indépendance et à l’impartialité de la fonction de juge et à l’incompatibilité de l’exercice d’autres fonctions en dehors du système judiciaire, y compris les Principes de Bangalore adoptés au niveau des Nations Unies, les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, les avis du Conseil Consultatif de Juges Européens et les avis pertinents de la Commission de Venise ; (ii) l’analyse comparative des Constitutions dans le cadre de la réglementation de l’incompatibilité de la fonction de juge avec d’autres fonctions de l’État ; et (iii) la pratique judiciaire d’autres Cours Constitutionnelles relative à l’interprétation de l’incompatibilité de la fonction de juge.
L’Arrêt indique, entre autres, que la Constitution de la République définit l’exercice de fonctions étatiques supplémentaires pour les juges de la République du Kosovo, dans deux cas, à savoir les fonctions (i) au sein du Conseil judiciaire du Kosovo ; et (ii) de la Commission électorale centrale. Dans tous les autres cas, dans son article 106 [Incompatibilité], la Constitution précise que (i) un juge ne peut exercer aucune fonction dans les institutions de l’État “ en dehors du pouvoir judiciaire ”, être impliqué dans une quelconque activité politique ou toute autre activité interdite par la loi ; et (ii) les juges ne sont pas autorisés à assumer des responsabilités ou à exercer des fonctions qui seraient en aucune manière contraires aux principes d’indépendance et d’impartialité du rôle du juge. Selon les précisions fournies, bien que la disposition susmentionnée définisse la possibilité d’attribution de fonctions supplémentaires aux juges de la République du Kosovo, conformément aux dispositions de lois spéciales et/ou de procédures définies par le Conseil judiciaire du Kosovo, la Constitution interdit clairement aux juges d’exercer toute fonction dans les institutions étatiques “ en dehors du pouvoir judiciaire ”. Selon les précisions apportées dans l’Arrêt, une telle formulation dans la Constitution inclut l’obligation d’évaluer la compatibilité de la fonction de juge avec la fonction de présider la Commission de surveillance d’un organisme indépendant, à savoir le Bureau d’État, y compris dans le contexte des pouvoirs de cette Commission et de la question de savoir si le Bureau d’État peut être considéré comme une institution d’État au sein du pouvoir judiciaire aux fins de la compatibilité des fonctions.
Selon les précisions apportées et compte tenu, (i) du caractère institutionnel du Bureau d’État et des relations du Bureau avec les tribunaux, à savoir le pouvoir judiciaire ; et (ii) la nature des pouvoirs étendus exercés par le président de la Commission de surveillance du Bureau, à savoir le juge de la Cour suprême ; et (iii) le fait que le Bureau d’État ne peut pas être qualifié d’institution d’État au sein du pouvoir judiciaire aux fins de la formulation de l’article 106 [Incompatibilité] de la Constitution, entre autres, parce que la relation entre le Bureau d’État et le pouvoir judiciaire, selon la Loi contestée, est de nature de surveillance, à savoir la prise de décision du Bureau d’État dans le cadre de la vérification et de la proposition de confiscation des avoirs est toujours soumise à la surveillance et à la prise de décision du pouvoir judiciaire, à l’évaluation de la Cour, la fonction de juge de la République du Kosovo n’est pas compatible avec la direction de la Commission de surveillance du Bureau d’État conformément aux dispositions de l’article 106 [Incompatibilité] de la Constitution.
Selon les précisions fournies dans le présent Arrêt, pour traiter des questions telles que celles susmentionnées, l’Assemblée, par le biais de modifications et/ou compléments aux dispositions susmentionnées, dans la mesure où il est défini qu’elle n’ exerce pas sa propre fonction de surveillance, doit déterminer la composition du Comité de surveillance du Bureau d’Etat de manière à ce que toutes les garanties nécessaires à l’indépendance de cette institution soient respectées, sans pour autant violer les dispositions constitutionnelles liées à l’incompatibilité des fonctions et/ou des pouvoirs de surveillance des institutions constitutionnelles indépendantes.
(c) mode d’élection du Directeur Général du Bureau d’État
L’arrêt précise également le mode d’élection du Directeur Général du Bureau d’État qui, selon les dispositions de la Loi Contestée, est élu par l’Assemblée à la majorité des voix de tous les députés présents et votants, mais, si l’Assemblée ne parvient pas à élire le Directeur en deux tours de vote, après deux concours, le pouvoir d’élire le Directeur Général passe à la Commission de surveillance. Une telle disposition, selon les précisions données, soulève en principe deux questions litigieuses, à savoir (i) l’élection du Directeur Général par l’Assemblée uniquement à la majorité simple ; et (ii) le mécanisme anti-blocage pour le transfert de ce pouvoir à la Commission de Surveillance, en cas d’échec de l’élection à l’Assemblée.
Selon les précisions apportées dans l’Arrêt, l’élection du Directeur Général à la majorité des voix de tous les députés présents et votants à l’Assemblée, n’est pas contraire aux dispositions des articles 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] et 80 [Adoption des lois] de la Constitution. Cela dit et compte tenu de l’importance de la fonction du Directeur général du Bureau d’État, y compris de son mandat de sept (7) ans, l’Arrêt rappelle également la recommandation continue de la Commission de Venise dans ses avis sur le Kosovo, ainsi que d’autres avis pertinents dans le cadre de l’élection des structures dirigeantes des agences/commissions chargées de la confiscation civile des avoirs, que l’élection du Directeur Général se fasse à la majorité des deux tiers (2/3) des députés. D’autre part, et en ce qui concerne le mécanisme anti-blocage choisi, à savoir le transfert du pouvoir d’élection du Directeur Général à la Commission de Surveillance, l’Arrêt précise que le mode d’élection des titulaires/membres des Agences Indépendantes n’est pas spécifié par les dispositions constitutionnelles et, par conséquent, la détermination du mode d’élection du Directeur Général du Bureau d’État, sur la base du paragraphe 1 de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution, relève de la compétence de l’Assemblée, rappelant également que dans la mesure où les normes constitutionnelles n’ont pas été violées, l’évaluation du choix de la politique publique qui a conduit à l’adoption d’une certaine loi/disposition ne relève pas des pouvoirs de la Cour
Enfin, l’Arrêt précise que la requête a été soumise à la Cour sur la base du paragraphe 5 de l’article 113 [Juridiction et parties autorisées] de la Constitution et que cette catégorie de requêtes a un caractère suspensif, à savoir qu’une telle loi peut est envoyée au Président de la République du Kosovo pour promulgation uniquement après la décision de la Cour et conformément aux modalités définies dans la décision finale de la Cour. Cela dit, et malgré le fait qu’en évaluant la constitutionnalité de la Loi contestée, la Cour a jugé contraires à la Constitution seulement des parties spécifiques de quatre (4) articles de la Loi contestée, à savoir les articles 2 (Portée), 10 ( Composition de la Commission de Surveillance et Indemnisation), 22 (Période de vérification du patrimoine) et 34 (Procédure en première instance), en tenant compte de leur nature et de leur importance, et du fait que sans leur modification et leur complément par l’Assemblée, la Loi contestée n’est pas applicable, sur la base de la pratique judiciaire de la Cour, la Loi contestée, au service du principe de sécurité juridique, a été déclarée invalide dans son intégralité.
Cette traduction n’est pas officielle et ne peut servir qu’ à des fins d’information.
Remarque:
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