Avis de décision dans l’affaire KO 55/23

22.12.2023

La Cour Constitutionnelle de la République du Kosovo a statué dans l’affaire KO 55/23, concernant la requête d’appréciation de la constitutionnalité des amendements constitutionnels proposés par quarante (40) députés de l’Assemblée de la République du Kosovo, référée par le Président de l’Assemblée de la République du Kosovo, le 2 mars 2023, par lettre n° 08/3509/Do/1493/1. La requête a été soumise à la Cour en vertu du paragraphe 9 de l’article 113 [Juridiction et Parties autorisées] et du paragraphe 3 de l’article 144 [Amendement] de la Constitution, selon lequel le Président de l’Assemblée de la République du Kosovo, avant l’approbation en l’Assemblée, doit renvoyer les amendements constitutionnels proposés à la Cour Constitutionnelle, afin de vérifier si les amendements proposés réduisent les droits et libertés garantis par le Chapitre II [Droits et Libertés fondamentaux] de la Constitution

La Cour, à l’unanimité, a décidé de déclarer la requête recevable et a constaté : (i) par six (6) voix pour et deux (2) voix contre, que le projet d’amendement constitutionnel n° 29, par lequel est proposé le contrôle transitoire/temporaire de l’intégrité des “ […]membres du Conseil judiciaire du Kosovo, des membres du Conseil des procureurs du Kosovo, des présidents de tous les tribunaux et de tous les procureurs généraux, ainsi que des candidats à ces postes[…]”, par l’Autorité pour le Contrôle de l’Intégrité (Autorité), ne réduit pas les droits et libertés fondamentaux garantis par le Chapitre II de la Constitution ; (ii) à l’unanimité, que les propositions d’amendements constitutionnels n° 27 et n° 28, par lesquels il est proposé de compléter les critères constitutionnels de révocation des juges et des procureurs pour “manquement grave à leurs devoirs ”, définis au paragraphe 4 du l’article 104 [Nomination et Révocation des juges] et au paragraphe 6 de l’article 109 [Procureur de la République] de la Constitution, avec la mention “ a été évalué de manière continue avec des performances insuffisantes ” ou “ a commis de graves infractions disciplinaires ”, ne réduisent pas les droits et libertés fondamentaux garantis par le chapitre II de la Constitution ; (iii) à l’unanimité, que les propositions d’amendements constitutionnels n° 27 et n° 28, par lesquels il est proposé de compléter le critère constitutionnel de révocation des juges et des procureurs pour “ manquement grave à leurs devoirs ”, défini au paragraphe 4 de l’article 104 [Nomination et Révocation des juges] et au paragraphe 6 de l’article 109 [Procureur de la République] de la Constitution, avec la mention “ il a été prouvé qu’il existe des avoirs injustifiables ” par une décision de justice définitive, ne réduisent pas les droits et libertés fondamentaux garantis par le chapitre II de la Constitution ; alors que (iv) à l’unanimité, que les propositions d’amendements constitutionnels n° 27 et n° 28, par lesquels il est proposé de compléter le critère constitutionnel de révocation des juges et des procureurs, pour “manquement grave à leurs devoirs”, défini au paragraphe 4 de l’article 104 [Nomination et Révocation des juges] et au paragraphe 6 de l’article 109 [Procureur de la République] de la Constitution, avec la mention “a une intégrité vulnérable”, réduisent les droits et libertés fondamentaux garantis par le chapitre II de la Constitution.

L’arrêt précise tout d’abord que les amendements constitutionnels proposés à la Cour par le Président de l’Assemblée de la République du Kosovo et approuvés par la Commission ad hoc sur le Vetting du système judiciaire, créée par l’Assemblée de la République du Kosovo, sont liés (i) au processus transitoire/temporaire de contrôle de l’intégrité des membres du Conseil judiciaire du Kosovo, du Conseil des procureurs du Kosovo, des présidents de tous les tribunaux, du Procureur de la République et de tous les procureurs généraux ainsi que des candidats à ces postes, à savoir le processus de vetting dans le système judiciaire ; et (ii) à l’élargissement/le complément des bases constitutionnelles permanentes pour la révocation des juges et des procureurs dans la République du Kosovo. L’arrêt précise également que le processus de préparation des amendements constitutionnels a commencé avec (i) l’approbation du « Document conceptuel pour le développement du processus de Vetting dans le système judiciaire » par le Gouvernement, le 13 octobre 2021 ; et (ii) la soumission du document conceptuel et des amendements constitutionnels proposés par le Ministère de la Justice pour avis à la Commission de Venise, les 10 février 2022 et 18 mai 2022. Les 17 et 18 juin 2022, la Commission de Venise lors de la 131-ième séance plénière a approuvé l’Avis [nr. CDL-AD(2022) 011] sur le document conceptuel pour le Vetting des juges et des procureurs et le projet d’amendements constitutionnels, qu’elle a publié le 20 juin 2022. Cet avis stipule, entre autres, que (i) le contrôle de l’intégrité, à savoir le vetting dans le système judiciaire, ne peut se faire que par le biais d’amendements constitutionnels ; (ii) pour garantir une réforme proportionnelle, le processus transitoire/temporaire de contrôle de l’intégrité devrait être limité aux seuls membres du Conseil judiciaire du Kosovo, du Conseil des procureurs du Kosovo, des présidents des tribunaux et des procureurs généraux ; (iii) les autres questions liées à l’intégrité du système judiciaire et de poursuites, à savoir les juges et les procureurs de la République du Kosovo, doivent rester de la compétence des conseils respectifs et être résolues par le biais de réformes juridiques et du renforcement des mécanismes existants dans les lois applicables de la République du Kosovo ; (iv) les ingérences dans les droits constitutionnels doivent être strictement proportionnelles et toute modification constitutionnelle doit viser à une ingérence minimale dans les compétences du Conseil judiciaire du Kosovo et du Conseil des procureurs du Kosovo ; et (v) les modifications constitutionnelles et législatives pertinentes doivent être préparées sur la base d’un dialogue sincère et en étroite coopération avec toutes les parties prenantes, y compris le ministère de la Justice, le Conseil judiciaire et le Conseil des procureurs, ainsi que la société civile et les universitaires intéressés.

En ce qui concerne la portée de l’appréciation constitutionnelle des amendements constitutionnels proposés, l’Arrêt précise ensuite que l’appréciation de la constitutionnalité des amendements proposés, conformément au paragraphe 3 de l’article 144 [Amendement] de la Constitution, se limite à apprécier si l’amendement constitutionnel proposé réduit certains des droits et libertés définis au chapitre II de la Constitution. Selon les précisions apportées dans l’Arrêt, une telle appréciation est également soumise à la compatibilité des amendements proposés avec les valeurs de l’ordre constitutionnel de la République du Kosovo spécifiées à l’article 7 [Valeurs] de la Constitution et aux obligations qui découlent de l’article 53 [Interprétation des dispositions relatives aux droits de l’homme] de la Constitution, par lequel il est précisé que les droits de l’homme doivent être interprétés en harmonie avec la pratique judiciaire de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

La Cour, lors de l’appréciation des amendements constitutionnels proposés, s’est notamment basée sur la documentation soumise à la Cour par le Président de l’Assemblée et sur les commentaires et réponses aux commentaires soumis par (i) le Bureau de la Présidente de la République du Kosovo ; (ii) le Ministère de la Justice ; (iii) le Conseil judiciaire du Kosovo ; (iv) le Conseil des procureurs du Kosovo ; ainsi que (v) un député de l’Assemblée de la République du Kosovo. En outre, et lors de l’appréciation de savoir si les amendements constitutionnels proposés réduisent les droits et libertés fondamentaux définis par le Chapitre II de la Constitution, l’Arrêt développe d’abord (i) les principes fondamentaux de la Constitution concernant la séparation et l’équilibre des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire et du système de poursuites judiciaires dans l’ordre juridique de la République du Kosovo ; (ii) les principes et normes concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire et des poursuites qui découlent d’instruments et de documents internationaux, notamment ceux des Nations Unies, de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe, y compris les recommandations du Comité des Ministres et les Avis du Conseil consultatif de juges européens et du Conseil consultatif de procureurs européens, les Avis pertinents de la Commission de Venise, la pratique judiciaire de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de la Cour de Justice de l’Union européenne ; (iii) les principes généraux découlant de la Constitution et des normes et instruments internationaux concernant les critères de révocation des juges et procureurs ; (iv) les Avis et réponses d’amicus curiae de la Commission de Venise concernant l’évaluation transitoire (vetting) des juges et des procureurs, y compris dans le cas de la République d’Albanie, de la Moldavie et de l’Ukraine ; (v) l’ analyse comparative des Constitutions des Etats membres du Conseil de l’Europe ; et (vi) l’ Avis n° CDL-AD(2022)011 de la Commission de Venise pour le Kosovo concernant le Document conceptuel sur le Vetting des juges et des procureurs.

L’Arrêt précise ensuite que les amendements constitutionnels proposés sont de deux catégories. La première catégorie, à savoir le projet d’amendement constitutionnel no. 29, est de nature transitoire/temporaire et comprend la proposition relative au processus de vetting dans le système judiciaire, à savoir la création de l’Autorité, en tant qu’organe temporaire, créé en dehors du système judiciaire et du système des procureurs, qui est investi de la compétence de contrôle de l’intégrité des membres du Conseil judiciaire du Kosovo, du Conseil des procureurs du Kosovo, des présidents des tribunaux, du Procureur de la République, des procureurs généraux des parquets et des candidats à ces postes. Alors que la deuxième catégorie, à savoir les amendements proposés n° 27 et n° 28, ont un caractère permanent et proposent l’élargissement/le complément de la base constitutionnelle existante pour la révocation des juges et des procureurs pour “manquement grave à leurs devoirs” défini au paragraphe 4 de l’article 104 [Nomination et révocation des juges] et au paragraphe 6 de l’article 109 [Procureur de la République] de la Constitution. Dans l’application des principes constitutionnels et des normes internationales pertinentes, y compris celles issues de l’avis de la Commission de Venise sur le Kosovo, la Cour a stipulé que (i) l’amendement n° 29 proposé, qui concerne le processus transitoire/temporaire de vetting dans le système judiciaire, ne porte pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux garantis par le chapitre II de la Constitution ; tandis que (ii) les amendements proposés n° 27 et n° 28, qui concernent le complément des bases constitutionnelles permanentes pour la révocation des juges et des procureurs, ne réduisent pas les droits et libertés fondamentaux garantis par le chapitre II de la Constitution dans le cadre de trois (3) des formulations proposées, mais réduisent ces droits et libertés dans le cadre d’une (1) formulation proposée, selon les précisions suivantes :

(i) processus transitoire/temporaire de contrôle dans le système judiciaire – le vetting

L’Arrêt précise d’abord que le projet d’amendement constitutionnel n° 29 définit (i) la création d’un mécanisme de contrôle de l’intégrité des postes dirigeants du système judiciaire, par l’Autorité de contrôle de l’intégrité ; (ii) le mandat temporaire de l’Autorité pour une période de deux (2) ans, avec possibilité de prolongation pour un (1) an supplémentaire, si décidé par une loi approuvée par les deux tiers (2/3) de tous les députés de l’Assemblée et la décision que le contrôle d’intégrité, y compris le contrôle du patrimoine et de l’image de la personne sujette au contrôle, n’est effectué qu’une seule fois ; (iii) que la composition, la sélection, l’organisation, le fonctionnement, les pouvoirs et l’immunité de l’Autorité sont déterminés par la loi; (iv) la composition et les pouvoirs des comités de contrôle de l’intégrité et du Collège d’Appel pertinent, y compris tels que définis par la loi ; (v) la compétence de la Présidente de la République pour organiser le processus d’élection des membres de l’Autorité qui votent en bloc et sont élus avec les voix des deux tiers (2/3) de tous les députés de l’Assemblée et sont révoqués à la même majorité sur proposition du Collège d’ Appel de l’Autorité ; (vi) le pouvoir de l’Autorité de confirmer la réussite du contrôle d’intégrité de la personne concernée ou de proposer à la Présidente la révocation de celle ; (vii) l’obligation de coopération de la part de la personne sujette au contrôle ; et (viii) le droit de faire appel auprès du Collège d’Appel de l’Autorité et de la Cour constitutionnelle.

Lors de l’appréciation de cet amendement constitutionnel, l’Arrêt souligne tout d’abord que la création de l’Autorité, chargée de contrôler l’intégrité “des membres du Conseil judiciaire du Kosovo, des membres du Conseil des procureurs du Kosovo, des présidents des tribunaux, du Procureur de la République et des procureurs généraux des parquets et des candidats à ces postes”, ne peut être déterminé que par le biais d’amendements constitutionnels, en tenant compte du fait que les pouvoirs de l’Autorité susmentionnée affectent (i) les pouvoirs constitutionnels, y compris l’indépendance globale constitutionnelle du Conseil judiciaire du Kosovo et du Conseil des procureurs du Kosovo, conformément aux dispositions des articles 108 [Conseil judiciaire du Kosovo] et 110 [Conseil des procureurs du Kosovo] de la Constitution ; (ii) les pouvoirs constitutionnels du Président de la République définis par les paragraphes 15 et 17 de l’article 84 [Pouvoirs du Président] de la Constitution ; et (iii) le pouvoir constitutionnel de l’Assemblée définie au paragraphe 10 de l’article 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] de la Constitution.

Ensuite, l’Arrêt précise qu’au-delà de l’effet temporaire sur les pouvoirs constitutionnels des institutions susmentionnées, la création de l’Autorité affecte également (i) les droits des personnes sujettes au contrôle d’intégrité, à savoir les membres du Conseil judiciaire du Kosovo, du Conseil des procureurs du Kosovo, les présidents de tous les tribunaux et tous les procureurs généraux ainsi que les candidats à ces postes ; mais aussi (ii) les droits et libertés fondamentaux de tous les citoyens, car un tel processus qui inclut le contrôle de l’intégrité des postes de direction, responsables du fonctionnement global et de l’administration du système judiciaire, peut affecter l’administration des affaires des individus devant les tribunaux et les parquets et, par conséquent, leur droit constitutionnel à un procès équitable. Compte tenu de l’effet de la création de l’Autorité sur l’ordre constitutionnel de la République du Kosovo, l’Arrêt élabore et évalue séparément tous les amendements constitutionnels proposés, en mettant l’accent sur l’analyse de la question de savoir (i) si l’Autorité, à savoir les comités de contrôle et le Collège d’appel, répondent aux critères de “ tribunal/cour ” indépendant défini par la loi selon les garanties comprises dans l’article 31 [Droit à un procès équitable et impartial] de la Constitution en relation avec l’article 6 (Droit à une procédure régulière ) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme; (ii) si les personnes soumises au contrôle d’intégrité par l’Autorité, ont le droit garanti à l’accès à la justice, aux recours juridiques et à la protection judiciaire des droits conformément aux dispositions des articles 31 [Droit à un procès équitable et impartial], 32 [Droit aux recours légaux] et 54 [Protection judiciaire des droits] de la Constitution en relation avec l’article 6 (Droit à une procédure régulière) et l’article 13 (Droit à un recours effectif) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; et (iii) si le contrôle de l’intégrité par les mécanismes de l’Autorité viole les droits à la vie privée des sujets concernés à l’encontre des garanties de l’article 36 [Droit à la vie privée] de la Constitution en relation avec l’article 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Dans le contexte de la première question, et en appliquant la jurisprudence pertinente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la Cour a évalué les critères liés (i) à la fonction judiciaire des comités de contrôle et du Collège d’Appel de l’Autorité ; (ii) au mode de nomination et de révocation des membres de l’Autorité; et (iii) à la notion d’indépendance et d’impartialité des comités de contrôle et du Collège d’Appel et à la durée du mandat des membres de l’Autorité ; et a constaté qu’en principe, les comités de contrôle et le Collège d’appel de l’Autorité ont le statut de « cour/tribunal » au sens de l’article 31 [Droit à un procès équitable et impartial] de la Constitution en relation avec l’article 6 ( Droit à une procédure régulière) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Dans le contexte de la deuxième question, à savoir le droit à l’accès à un tribunal et à un recours juridique effectif des personnes sujettes au contrôle, l’Arrêt précise, entre autres, que bien que les amendements constitutionnels proposés excluent le droit à un recours juridique devant les tribunaux ordinaires contre les décisions de l’Autorité, ceux-ci garantissent le principe des deux degrés, à savoir le droit de recours des décisions des comités de contrôle auprès du Collège d’appel de l’Autorité et le droit de présenter une demande d’appréciation de la constitutionnalité des décisions susmentionnées du Collège d’appel à la Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions du paragraphe 7 de l’article 113 [Juridiction et partis autorisés] de la Constitution. Dans le cadre de la troisième question, à savoir le droit à la vie privée, l’Arrêt, développant les principes définis par l’article 36 [Droit à la vie privée] de la Constitution en liaison avec l’article 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, précise que la question des données, mais aussi la question de révocation des personnes sujettes au contrôle, relève du droit à la vie privée et familiale et que toute “ingérence/restriction” de ce droit doit “être défini par la loi”,“poursuivre un objectif légitime” et “être proportionné” et nécessaire dans une société démocratique. En principe, l’Arrêt précise que l’objectif du contrôle transitoire/temporaire des personnes sujettes au contrôle d’intégrité poursuit un objectif légitime, à savoir celui de la bonne administration de la justice et que les mécanismes établis sont, en principe, proportionnés à l’objectif poursuivi.

Cela dit, l’Arrêt souligne également, entre autres, que (i) le vote des membres de l’Autorité en bloc avec les deux tiers (2/3) des voix de tous les députés, comprend l’obligation de l’Assemblée d’évaluer et de s’assurer que chaque candidat au poste de membre de l’Autorité, individuellement, remplit les critères professionnels et d’intégrité les plus élevés ; (ii) la composition de l’Autorité et les nouvelles nominations aux postes soumis au contrôle d’intégrité doivent être conformes aux obligations constitutionnelles en matière d’égalité des sexes et de représentation des membres de la communauté non majoritaire ; et (iii) sur la base de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, toute “ingérence/restriction” dans le droit à la vie privée par le biais des procédures de contrôle d’intégrité développées par l’Autorité, doit être strictement proportionnelle au but poursuivi. Par ailleurs, l’Arrêt stipule également que sur la base des amendements constitutionnels proposés, le mandat de l’Autorité est de deux (2) ans à compter de l’élection de tous ses membres, avec possibilité de prolongation pour un maximum d’un (1) an supplémentaire, si décidé par une loi approuvée à deux tiers (2/3) des voix de tous les membres de l’Assemblée. L’ Arrêt précise que le défaut d’approbation de cette loi entraînera la résiliation immédiate du mandat de l’Autorité. Enfin, l’Arrêt indique également que l’appréciation de la Cour selon laquelle le projet d’amendement constitutionnel no. 29, n’entraîne pas la réduction des droits et libertés fondamentaux définis au chapitre II de la Constitution, ne préjuge pas de l’appréciation de la constitutionnalité de la loi de l’Assemblée adoptée en exécution de l’amendement susmentionné, dans la mesure où elle est contestée devant la Cour par le biais des parties autorisées par les dispositions de la Constitution.

(ii) Complément/élargissement des bases constitutionnelles permanentes pour la révocation des juges et des procureurs

L’Arrêt précise tout d’abord que, en vertu du paragraphe 4 de l’article 104 [Nomination et révocation des juges] et du paragraphe 6 de l’article 109 [Procureur de la République] de la Constitution, les juges et les procureurs peuvent être démis de leurs fonctions en raison (i) d’une “condamnation pour une infraction pénale grave”; ou pour (ii) “ manquement grave à leurs devoirs”, alors que, en vertu du paragraphe 2 de l’article 107 [Immunité] de la Constitution, les juges ne bénéficient pas de l’immunité et peuvent être démis de leurs fonctions, lorsqu’ils ont délibérément violé la loi. En outre, selon les spécifications de l’Arrêt, la Loi n° 06/L-57 sur la Responsabilité Disciplinaire des juges et des procureurs et les actes du Conseil judiciaire du Kosovo et du Conseil des procureurs du Kosovo définissent plus en détail les types de violations disciplinaires des juges et des procureurs, y compris celles liées aux “violations de la loi” ou aux “violations des devoirs officiels”, les sanctions correspondantes et la proposition de révocation du juge ou du procureur concerné. Les amendements constitutionnels proposés n° 27 et n° 28 proposent d’élargir/compléter la base constitutionnelle du “manquement grave aux devoirs”, en incluant au niveau de la norme constitutionnelle également (i) “les performances insuffisantes de manière continue” ; (ii) “les avoirs injustifiables” ; (iii) “les infractions disciplinaires graves” ; et iv) “l’ intégrité vulnérable”.

Dans l’appréciation à savoir si les amendements proposés ci-dessus réduisent les droits et libertés fondamentaux garantis par le chapitre II de la Constitution, l’Arrêt précise, entre autres, (i) que contrairement au contrôle temporaire de l’intégrité des juges et des procureurs en tant que mesure temporaire et exceptionnelle, le principe de sécurité lié au mandat et à l’inaliénabilité de la fonction est également un élément essentiel de l’indépendance du pouvoir judiciaire et du système de poursuite, et (ii) que les motifs permanents de révocation des juges et des procureurs doivent permettre de prendre des mesures efficaces contre ceux qui violent l’intégrité du système judiciaire, mais en même temps, fournir des garanties que ceux-ci exercent les fonctions pertinentes de manière indépendante, impartiale et sans ingérence. Par conséquent, les instruments internationaux, notamment les Avis de la Commission de Venise et les Avis du Conseil Consultatif de Juges Européens, définissent l’obligation que les motifs de sanction et/ou de révocation des juges et des procureurs soient clairement définis, y compris en termes de garanties procédurales qui doivent être suivies. Un tel principe découle également du principe de sécurité juridique, en tant qu’élément essentiel de l’État de droit, selon lequel la norme doit être conforme aux critères de “clarté” et de “prévisibilité”.

Dans le contexte susmentionné, l’Arrêt souligne que la Constitution de la République du Kosovo et les lois pertinentes applicables définissent une base suffisante pour la révocation des juges et des procureurs. En outre, les questions liées à l’appréciation des performances et aux infractions disciplinaires graves, fondées sur la Constitution et la Loi sur la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs, constituent déjà la base de la proposition de révocation des juges et des procureurs. Dans l’Avis sur le Kosovo, la Commission de Venise a également recommandé qu’au-delà du contrôle transitoire/temporaire de l’intégrité, concentré sur les postes élevés du système judiciaire et de poursuites, les questions liées à l’intégrité des juges et autres procureurs de la République du Kosovo, doivent être administrées par les Conseils compétents, en renforçant la mise en œuvre des mécanismes juridiques existants, mais également par l’approbation/l’amendement des lois pertinentes. Cependant, selon les descriptifs donnés dans l’Arrêt, la Cour considère que si l’auteur des amendements constitutionnels estime que ces critères sont liés à la “performance professionnelle”, aux “infractions disciplinaires graves” et au “patrimoine injustifiable” du juge et/ou procureur et confirmés par une décision de justice définitive, ils doivent également être définis au niveau de la norme constitutionnelle, une telle définition est possible, car les formulations susmentionnées sont suffisamment “claires” et “prévisibles”, et en tant que telles, n’aboutissent pas à la réduction des droits et libertés fondamentaux garantis au chapitre II de la Constitution.

Dans le contexte de la mention “il a été prouvé qu’il existe des avoirs injustifiables”, l’arrêt précise, entre autres, que (i) le mécanisme de déclaration de patrimoine est l’un des mécanismes de lutte contre la corruption dans le secteur public, y compris pour les juges et les procureurs, et en tant que tel, il peut entraîner la révocation des juges et des procureurs ; (ii) le mécanisme de déclaration de patrimoine établi par la loi no. 08/L-108 sur la déclaration, l’origine et le contrôle des avoirss et des cadeaux, est également mentionné par la Commission de Venise dans son Avis sur le Kosovo, et des mécanismes similaires sont également mentionnés dans d’autres avis pertinents, notamment ceux du Conseil consultatif de Juges et Procureurs européens et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ; et iii) le Code pénal de la République du Kosovo définit l’infraction pénale de “non-déclaration ou fausse déclaration d’avoirs, de revenus, de cadeaux, d’autres avantages matériels ou d’obligations financières”, ainsi que les sanctions qui en découlent, sur la base de la Constitution, entraîne la proposition de révocation du juge et/ou du procureur concerné. L’Arrêt précise cependant qu’aucune des Constitutions des États membres de l’Union européenne ni du Conseil de l’Europe n’a défini les “avoirs injustifiables” au niveau de la norme constitutionnelle comme base de révocation des juges et/ou procureurs.

Cela dit, selon les précisions apportées dans l’Arrêt, (i) tant qu’il n’est pas contesté que la non-déclaration et/ou la fausse déclaration de patrimoine constitue actuellement un motif de révocation du juge et/ou du procureur; et (ii) que la notion d’ “avoirs injustifiables”diffère de l’infraction pénale susmentionnée, l’Arrêt précise que même le “patrimoine injustifiable” qui est certifié par une décision de justice définitive peut constituer un motif de révocation d’un juge et /ou d’un procureur, sous réserve des garanties constitutionnelles liées à (i) l’accès à la justice, au sens des articles 32 [Droit aux recours légaux] et 54 [Protection judiciaire des droits] de la Constitution ; et (ii) au droit à un procès équitable et impartial, au sens de l’article 31 [Droit à un procès équitable et impartial] de la Constitution conjointement avec l’article 6 (Droit à une procédure régulière) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Selon les précisions apportées dans l’Arrêt, la Cour a également apprécié le motif proposé pour la révocation du juge et/ou du procureur, qui est lié à la formulation d’ “intégrité vulnérable”. L’arrêt précise que les questions liées à l’intégrité des juges et des procureurs sont entièrement couvertes par les bases constitutionnelles et juridiques existantes et peuvent entraîner leur révocation. Cependant, dans l’application des normes issues des principes constitutionnels et des instruments internationaux, la notion “a une intégrité vulnérable”, comme base permanente de révocation d’un juge et/ou d’un procureur, se caractérise par un manque de définition “claire” et “prévisible”. De plus, si on compare (i) le principe de sécurité du mandat du juge et/ou du procureur et l’importance de ce principe pour l’indépendance du système judiciaire et de poursuites, y compris le tribunal indépendant créé par la loi conformément aux dispositions de l’article 31 [Droit à un procès équitable et impartial] de la Constitution en relation avec l’article 6 (Droit à une procédure régulière) de la Convention européenne des droits de l’homme ; et (ii) “l’ambiguïté” et “l’imprévisibilité” de la notion proposée, y compris dans le contexte de l’absence de garanties procédurales nécessaires liées à l’évaluation de “l’intégrité vulnérable”, comme motif permanent de révocation des juges et des procureurs qui est proposé au niveau de la norme constitutionnelle, la Cour a conclu qu’une telle formulation entraîne une réduction des droits et libertés fondamentaux garantis par le chapitre II de la Constitution.

L’Arrêt souligne enfin qu’il n’est pas contesté que l’indépendance du pouvoir judiciaire et du système de poursuite sont des principes essentiels de l’ordre constitutionnel de la République du Kosovo, qui repose sur les valeurs de l’État de droit et de la démocratie. La Constitution de la République du Kosovo définit le Conseil judiciaire du Kosovo et le Conseil des Procureurs du Kosovo comme deux institutions constitutionnelles indépendantes, leur accordant respectivement la compétence d’administrer le système judiciaire et le système de poursuites, y compris les questions liées aux procédures disciplinaires des juges et des procureurs, et le pouvoir de proposer leur révocation. Ces pouvoirs des Conseils incluent l’obligation d’agir avec l’efficacité nécessaire dans la mise en œuvre des lois applicables, y compris la loi sur la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs, et de prendre les mesures nécessaires à l’encontre de tout juge et procureur qui pourrait violer l’intégrité du système judiciaire et de poursuites de la République du Kosovo. L’arrêt souligne que le bon fonctionnement et l’administration de la justice, y compris la confiance du public dans ce système, reflètent l’un des principes les plus essentiels d’une société démocratique fondée sur l’État de droit, ce principe qui constitue une valeur fondamentale de l’ordre constitutionnel de l’État de droit de la République du Kosovo.

L’Arrêt sera également complété par une opinion dissidente et une opinion concurrente.

Cette traduction n’est pas officielle et ne peut servir qu’ à des fins d’information.

Remarque :

Ce communiqué de presse a été préparé par le Secrétariat de la Cour uniquement à titre informatif. Le texte intégral de la décision sera remis aux parties impliquées dans l’affaire, sera publié sur le site Internet de la Cour et au Journal officiel, après l’achèvement des procédures pertinentes définies dans la loi sur la Cour constitutionnelle et son règlement de procédure. Le résumé publié par le biais du présent avis peut faire l’objet de corrections linguistiques et techniques dans le projet final de décision. Pour recevoir les notifications des décisions de la Cour constitutionnelle, veuillez vous inscrire sur le site Internet de la Cour : https://gjk-ks.org