Jugement

Appréciation de la constitutionnalité de la Loi n° 08/L-136 portant Modification et Complément de la Loi n° 06/L-056 sur le Conseil des Procureurs du Kosovo

Numéro de l’affaire KO100_101/22

Requérants: KO 100/22, avec les requérants : Abelard Tahiri et dix (10) autres députés et KO 101/22, avec les requérants : Arben Gashi et dix (10) autres députés de l'Assemblée de la République du Kosovo

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Affaires KO 100/22, avec les requérants : Abelard Tahiri et dix (10) autres députés et KO 101/22, avec les requérants : Arben Gashi et dix (10) autres députés de l’Assemblée de la République du Kosovo, appréciation de la constitutionnalité de la Loi n° 08/L-136 portant Modification et Complément de la Loi n° 06/L-056 sur le Conseil des Procureurs du Kosovo

Mots clés : composition du CPK ; indépendance du CPK ; raccourcissement du mandat des membres du CPK; recours légal pour les membres du CPK ; 

KO100/22 et KO101/22, Arrêt du 24 mars 2023, publié le 5 avril 2023

La Cour constitutionnelle de la République du Kosovo, a statué  sur les requêtes conjointes dans les affaires KO 100/22, avec les requérants : Abelard Tahiri et dix (10) autres députés et KO 101/22, avec les requérants : Arben Gashi et dix (10) autres députés de l’Assemblée de la République du Kosovo, concernant l’appréciation de la constitutionnalité de la Loi no. 08/L-136 portant Modification et Complément à la Loi no. 06/L-056 pour le Conseil des Procureurs du Kosovo.

La cour a décidé à l’unanimité (i) de déclarer les requêtes recevables et de constater que : (ii) le point 1.3.2 du paragraphe 1 de l’article 6 et l’article 8, à savoir l’article 10/A de la Loi contestée, ne sont pas conformes au paragraphe 1 de l’article 4 [Forme de gouvernement et Séparation des pouvoirs], au paragraphe 10 de l’article 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] et à l’article 132 [Rôle et Pouvoirs de l’Avocat du Peuple] de la Constitution ; (iii) le paragraphe 2/a de l’article 13 de la Loi contestée n’est pas conforme au paragraphe 1 de l’article 4 [Forme de gouvernement et Séparation des pouvoirs] et au paragraphe 1 de l’article 110 [Conseil des Procureurs du Kosovo] de la Constitution ; (iv) le paragraphe 5 de l’article 16 de la Loi contestée n’est pas conforme au paragraphe 1 de l’article 24 [Egalité devant la loi] de la Constitution ; (v) l’article 18, respectivement 23/A de la Loi contestée n’est pas conforme aux articles 32 [Droit à des voies de recours] et 54 [Protection judiciaire des Droits] de la Constitution ; (vi) le paragraphe 3 de l’article 11 et l’article 20 de la Loi contestée ne sont pas compatibles avec le paragraphe 1 de l’article 4 [Forme de gouvernement et Séparation des pouvoirs], l’article 32 [Droit à des voies de recours], l’article 54 [Protection judiciaire des Droits] et le paragraphe 1 de l’article 110 [Conseil des Procureurs du Kosovo] de la Constitution ; et (vii) de déclarer invalide, dans son intégralité, la loi n° 08/L-136 portant Modification et Complément de la Loi n° 06/L-056 pour le Conseil des Procureurs du Kosovo.

L’essentiel des allégations des requérants, soutenues par le Conseil des Procureurs, par la Chambre des avocats mais aussi, en substance, par l’Avocat du peuple en ce qui concerne les questions liées à ses pouvoirs, et contestées par le ministère de la Justice, a rapport à la violation de l’indépendance constitutionnelle du Conseil des Procureurs et à la séparation et l’équilibre des pouvoirs, contraire aux garanties de l’article 4 et de l’article 110 de la Constitution, respectivement, du fait que, selon les requérants, la loi contestée entre autres : (i) modifie la composition du Conseil des Procureurs, en réduisant la proportion entre les membres procureurs et non-procureurs, ces derniers étant élus au suffrage de la majorité simple des députés présents et votants à l’Assemblée, en ne soumettant l’élection des membres d’une institution constitutionnelle indépendante qu’à la volonté de la majorité gouvernementale représentée à l’Assemblée ; (ii) détermine la compétence de l’Avocat du Peuple pour élire un (1) des membres non-procureurs du Conseil des Procureurs, contrairement à la Constitution et aux fonctions constitutionnelles de l’Avocat du Peuple ; (iii) en définissant la majorité décisionnelle du Conseil des procureurs comme une majorité qualifiée et en la conditionnant au vote de ses membres non-procureurs élus à la majorité simple par l’Assemblée, elle soumet la prise de décision d’une institution constitutionnelle indépendante à la volonté politique gouvernementale représentée à l’Assemblée ; (iv) ne traite pas les membres procureurs et non-procureurs sur un pied d’égalité dans le cadre des voies de recours disponibles en cas de leur révocation, en permettant un recours direct devant la Cour Suprême uniquement aux membres procureurs du Conseil ; et (v) a arbitrairement mis fin aux mandats des membres du Conseil des Procureurs, contrairement aux garanties constitutionnelles, à la pratique judiciaire de la Cour et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

Lors de l’appréciation de la constitutionnalité de la Loi contestée, la Cour a d’abord et entre autres élaboré : (i) les principes constitutionnels fondamentaux relatifs au système judiciaire, tels que spécifiés par la Constitution ; (ii) le bref historique du Conseil des Procureurs, à travers les lois respectives depuis sa création, dans la mesure où cela est pertinent pour les circonstances de l’affaire concrète ; et (iii) la pratique judiciaire pertinente de la Cour, de la CEDH et de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). La Cour a également précisé les principes de base découlant des Rapports et Avis de la Commission de Venise, y compris, mais sans s’y limiter : (i) le compte rendu des Avis et Rapports concernant les procureurs du 26 avril 2022 ; (ii) le rapport des normes européennes relatives à l’indépendance du système judiciaire : Partie II – “Parquet” ; (iii) Avis sur les majorités qualifiées et les mécanismes de déblocage pertinents ; (iv) Avis pertinents du Conseil Consultatif des Procureurs Européens, y compris les avis no. 9 (2014) et no. 13 (2018), ainsi que les Recommandations pertinentes du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe ; et (v) les deux Avis de la Commission de Venise sur le Kosovo, concernant la Loi contestée, approuvés respectivement le 13 décembre 2021 et le 23 mars 2022.

En application des principes susmentionnés dans l’appréciation de la constitutionnalité de la loi contestée, la Décision (i) indique d’abord que, en vertu de l’article 16 [Suprématie de la Constitution] de la Constitution, le pouvoir de gouverner émane de la Constitution, en qualité d’acte juridique suprême de la République du Kosovo, auquel les lois et autres actes juridiques doivent être conformes; et (ii) réitère sa pratique judiciaire consolidée, selon laquelle la Constitution consiste en un ensemble de principes et de valeurs constitutionnels, sur la base desquels la République du Kosovo a été construite et doit fonctionner, et que les normes définies par la Constitution ne peuvent pas être interprétées isolément les unes des autres, mais doivent être lues en relation les unes avec les autres, car ce n’est qu’ainsi qu’on peut déduire leur sens correct dans le contexte de l’article 7 [Valeurs] de la Constitution concernant les valeurs de la République du Kosovo.

En outre, la Décision précise également que, en s’appuyant sur les avis pertinents de la Commission de Venise, mais aussi sur ceux du Conseil Consultatif des Procureurs Européens et sur les recommandations pertinentes du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, entre autres, il résulte que (i) les normes sont moins consolidées/uniformes dans le cadre de l’organisation des systèmes de poursuites, à la différence des systèmes judiciaires; cependant, (ii) il existe une tendance généralisée à l’indépendance des systèmes de poursuites, et la pratique judiciaire de la CEDH mais aussi de la CJUE souligne également cet aspect.

Cela dit, la Décision précise que dans l’ordre constitutionnel de la République du Kosovo, le système de poursuites est totalement indépendant. Plus précisément, le Conseil des Procureurs fait partie intégrante du chapitre VII de la Constitution relatif au système judiciaire et, avec le Conseil judiciaire, il a la pouvoir d’administrer le système judiciaire et le système des poursuites, respectivement et indépendemment des similitudes et des différences respectives, dans l’exercice de leurs fonctions, la Constitution accorde à l’un et à l’autre une « pleine indépendance constitutionnelle ». La Décision stipule que cette indépendance constitutionnelle complète, fondée sur l’article 4 de la Constitution concernant la séparation et l’équilibre des pouvoirs, est également soumise à l’équilibre de l’interaction avec les autres pouvoirs, toujours dans le respect des valeurs démocratiques telles que définies à l’article 7 de la Constitution.

D’après la lecture conjointe des dispositions constitutionnelles et dans la mesure où cela est pertinent dans les circonstances de l’affaire concrète, en principe et dans le cadre du Conseil des Procureurs, l’interaction du Conseil des Procureurs avec l’Assemblée est importante, selon les dispositions des articles 65 et 110 de la Constitution. L’interaction de ces dispositions, en substance, détermine l’exercice des pouvoirs de l’Assemblée pour déterminer la composition du Conseil des Procureurs et pour élire les membres du Conseil, mais toujours en fonction du maintien de l’indépendance complète du Conseil des Procureurs dans l’exercice de ses fonctions constitutionnelles, telles que définies au paragraphe 1 de l’article 110 de la Constitution ; tout en respectant la séparation et l’équilibre des pouvoirs, tels que définis au paragraphe 1 de l’article 4 de la Constitution.

Dans la Décision de la Cour, les principes résumés ci-dessus ont été appliqués séparément lors de l’examen de chaque article de la loi contestée. Cela dit et aux fins du présent compte rendu, la Cour clarifiera les constatations et les principales conclusions concernant les points les plus controversés de la loi contestée, à savoir : (i) la nouvelle composition du Conseil des Procureurs et la proportion entre les membres procureurs et non – procureurs ; (ii) l’élection des membres non-procureurs à la majorité des voix des députés présents et votants à l’Assemblée ; (iii) le pouvoir de l’Avocat du Peuple pour nommer, respectivement élire un (1) membre non-procureur du Conseil des Procureurs ; (iv) la différence de traitement entre les membres procureurs et non-procureurs concernant le droit à un recours légal et la protection judiciaire des droits, en cas de décision de leur révocation en qualité de membre du Conseil des Procureurs ; et (v) la résiliation des mandats existants des membres du Conseil des Procureurs après l’entrée en vigueur de la loi contestée.

(i) Equilibre entre le nombre des membres procureurs et non-procureurs au sein du Conseil des Procureurs

La Décision de la Cour stipule que La loi contestée précise que le Conseil des Procureurs est composé de sept (7) membres, dont le procureur de la République qui est représenté d’office au sein du Conseil, trois (3) membres procureurs choisis dans le système des poursuites et trois (3) membres non-procureurs, contrairement à la Loi fondamentale selon laquelle le Conseil des Procureurs est composé de treize (13) membres, à savoir le procureur de la République qui est représenté d’office, neuf (9) membres procureurs choisis dans le système des poursuites et trois (3) membres non-procureurs élus par l’Assemblée, sur proposition de la Chambre des avocats et des facultés de droit et du concours public portant sur un (1) membre de la société civile, selon les spécificités de la loi applicable.

Lors de l’appéciation de la constitutionnalité de la disposition de la loi contestée qui définit la structure susmentionnée, la Décision de la Cour précise que la Constitution contient deux articles déterminants, respectivement l’article 65 et l’article 110 de la Constitution. La Constitution, au paragraphe 4 de son article 110, a déterminé, entre autres, que la composition du Conseil des Procureurs est régie par la loi, tandis qu’au paragraphe 10 de son article 65, elle a stipulé, entre autres, que les membres du Conseil des procureurs sont élus par l’Assemblée conformément à la Constitution. Dans le cas du Conseil des Procureurs, à la différence du Conseil de la magistrature, la Constitution ne définit pas le rapport entre les membres sélectionnés par le système de poursuite et les membres non-procureurs concernés, déléguant la réglementation de cette proportion au niveau de la loi, toujours tant qu’il n’est pas porté atteinte à l’entière indépendance constitutionnelle du Conseil des Procureurs, telle que défini au paragraphe 1 de l’article 110 de la Constitution.

Compte tenu de l’absence de réglementation constitutionnelle spécifique concernant la proportion entre les membres procureurs et non-procureurs du Conseil des Procureurs, la Décision de la Cour se réfère également aux avis de la Commission de Venise, dont deux avis sur le Kosovo, qui, entre autres , soulignent qu’il est important que la composition des conseils des Procureurs évite deux risques, à savoir : (i) dans le cas des membres procureurs, la tendance à la “corporatisation” ou à une perception similaire, compte tenu de “l’organisation hiérarchique du système de poursuites et de la culture de la subordination » ; et parallèlement, (ii) dans le cas des membres non- procureurs, la possibilité de « politisation » du Conseil, à savoir l’influence politique par la façon dont ils sont élus. En principe, entre autres, cet équilibre, selon les avis précités, peut être atteint par une composition pluraliste du Conseil dans laquelle les procureurs sélectionnés par le système constituent une « partie substantielle », mais pas nécessairement la majorité des membres du Conseil. Cela évite aussi la situation où les procureurs gouvernent seuls, mais parallèlement cela empêche les membres non-procureurs de bloquer ces derniers ou de les « mettre facilement en position minoritaire ».

Au vu des précisions résumées ci-dessus et compte tenu du fait que (i) conformément au paragraphe 4 de l’article 110 de la Constitution, entre autres, la composition du Conseil des Procureurs est régie par la loi ; et (ii) les normes de la Commission de Venise reflètent l’importance d’un rapport équilibré des Conseils des procureurs entre les membres procureurs sélectionnés par le système lui-même et les membres non-procureurs, toujours avec les garanties nécessaires pour éviter le risque de “corporatisation” mais aussi de “politisation” des Conseils, la Cour a estimé que la composition, à savoir la proportion entre les membres procureurs et non-procureurs du Conseil des Procureurs, selon les dispositions de la loi contestée, n’est pas contraire à la Constitution.

(ii) La majorité requise à l’Assemblée pour l’élection des membres non-procureurs du Conseil des Procureurs

En ce qui concerne la majorité requise pour l’élection par l’Assemblée des membres non-procureurs du Conseil des Procureurs, la Décision met l’accent sur deux dispositions déterminantes, respectivement les articles 65 et 80 de la Constitution. L’article 65 de la Constitution, dans son paragraphe 10, stipule que les membres du Conseil des Procureurs sont élus par l’Assemblée conformément à la Constitution, tandis que l’article 80 de la Constitution, dans son paragraphe 1, stipule que les lois, Décisions et autres actes sont approuvés par l’Assemblée à la majorité des voix des députés présents et votants, sauf dans les cas où c’est déterminé autrement par la Constitution.

Considérant que la Constitution ne dispose pas autrement, l’élection par l’Assemblée des membres non-procureurs du Conseil des Procureurs relève du champ d’application du paragraphe 1 de l’article 80 de la Constitution. En conséquence et en l’absence d’une autre règle spécifique dans la Constitution, la Décision précise que l’élection des membres non-procureurs du Conseil des Procureurs à la majorité des députés présents et votants n’est pas contraire à la Constitution.

Cela dit et tenant compte du paragraphe 1 de l’article 110 de la Constitution relatif à la complète indépendance constitutionnelle du Conseil des Procureurs et dans le contexte du principe de séparation et d’équilibre des pouvoirs tels que définis respectivement aux articles 4 et 7 de la Constitution, la Décision de la Cour souligne également le fait que (i) les Rapports et Avis pertinents de la Commission de Venise, y compris les Avis sur le Kosovo concernant la loi contestée, soulignent qu’il est préférable que l’élection des membres non-procureurs des conseils des procureurs se fasse à la majorité qualifiée et non à la majorité simple, soulignant également la possibilité de définir ultérieurement des mécanismes de déblocage ou encore des systèmes de vote proportionnel, de sorte qu’une même majorité parlementaire n’ait pas la possibilité d’élire simultanément et avec une majorité simple, entraînant ainsi la possibilité d’une politisation du Conseil et la violation de son indépendance ; et (ii) les lois de la République du Kosovo, y compris celles du Conseil des Procureurs, mais aussi du Conseil judiciaire, au fil des ans, ont également déterminé les majorités les plus élevées pour l’élection et la révocation de leurs membres, y compris la majorité des voix de tous les députés de l’Assemblée.

 (iii) Pouvoir de l’Avocat du peuple pour élire les membres non-procureurs du Conseil des Procureurs

Dans le contexte des dispositions pertinentes de la loi contestée par lesquelles l’Avocat du peuple est défini comme ayant le pouvoir de nommer/élire et de révoquer un (1) membre non-procureur du Conseil des procureurs, la Décision souligne d’abord le fait que, selon les avis de la Commission de Venise, (i) pour déterminer la proportion appropriée entre les membres procureurs sélectionnés par le système de poursuites et les membres non-procureurs sélectionnés par l’Assemblée, certains membres peuvent également représenter des institutions indépendantes et/ou la société civile ; et (ii) dans la composition des conseils des procureurs, ceux-ci peuvent être représentés d’office ou par la proposition/la nomination de candidats pertinents. Une telle combinaison de mécanismes se reflète, entre autres, dans la loi fondamentale sur le Conseil des Procureurs, qui comprend le mécanisme de représentation d’office au Conseil du Procureur de la République et le rôle de la Chambre des avocats, des facultés de droit et de la société civile dans la proposition/nomination des membres non-procureurs du Conseil qui sont ensuite élus par l’Assemblée.

Cela dit, la Décision stipule, entre autres, que le point de départ pour évaluer le pouvoir de l’Avocat du peuple pour nommer/élire mais aussi révoquer l’un des membres non-procureurs du Conseil des Procureurs est la Constitution, à savoir (i) le paragraphe 10 de l’article 65 de la Constitution, selon lequel, entre autres, l’Assemblée élit les membres du Conseil des Procureurs ; (ii) les pouvoirs constitutionnels de l’Assemblée pour élire les titulaires des fonctions des institutions constitutionnelles indépendantes définies respectivement aux chapitres VII et XII de la Constitution ; et (iii) l’article 132 de la Constitution, selon lequel, entre autres, l’Avocat du Peuple a le pouvoir de superviser toutes les autorités publiques, y compris le Conseil des Procureurs, dans le cadre d’actions et d’inactions illégales concernant les droits et libertés fondamentaux. En ce qui concerne ce dernier point, la Décision rappelle également que si l’avis de la Commission de Venise a précisé que l’inclusion de l’avocat du peuple dans la composition du Conseil des Procureurs n’est pas nécessairement contraire aux normes, il a également attiré l’attention sur le fait qu’une telle inclusion “ne doit pas entraver sa capacité [d’Avocat du peuple] à prendre des Décisions indépendantes concernant les questions liées au CPK.

Dans le contexte des dispositions susmentionnées dans leur intégralité, la Décision de la Cour stipule premièrement que à la différence du Conseil de la magistrature, dans le cas du Conseil des procureurs, la composition et le mode d’élection/de nomination des membres concernés est déterminé par la Constitution et la loi. Le pouvoir de l’Assemblée pour élire les membres du Conseil des Procureurs est déterminée par la Constitution et, par conséquent, sur la base des principes qui découlent de la pratique judiciaire de la Cour, elle ne peut être transférée à l’institution de l’Avocat du Peuple par la loi approuvée conformément au paragraphe 4 de l’article 110 de la Constitution. À cet égard et secundo, la Décision stipule que, dans le contexte de toutes les institutions constitutionnelles indépendantes définies par le chapitre VII concernant le système judiciaire et le chapitre XII concernant les institutions indépendantes, et indépendamment du fait que la Constitution (i) ait spécifié le pouvoir de l’Assemblée pour élire/nommer au niveau de la Constitution ; ou (ii) précisé que le mode d’élection/nomination est régi par la loi, les fonctionnaires des institutions constitutionnelles indépendantes sont élus par l’Assemblée, à l’exception des membres de la Commission centrale électorale, dont la composition est définie dans la Constitution. C’est le cas des membres spécifiés du Conseil judiciaire, de l’Avocat du peuple, des Avocats du peuple adjoints, du Vérificateur général des comptes, du Gouverneur et des membres du Conseil de la Banque centrale et des membres de la Commission indépendante des médias, qui sont élus par l’Assemblée de la manière spécifiée dans la Constitution et/ou les lois pertinentes. Troisièmement, sur la base de l’article 132 de la Constitution, l’Avocat du peuple a des pouvoirs constitutionnels de supervision, respectivement et entre autres, (i) il supervise et protège les droits et libertés des individus contre les actions ou inactions illégales et irrégulières des autorités publiques, y compris celles du Conseil des Procureurs ; et (ii) il a l’obligation de refuser toute instruction et ingérence de toute autorité qui exerce le pouvoir dans la République du Kosovo et qui est tenue de répondre à ses demandes. Sur la base de ces caractéristiques constitutionnelles, l’Assemblée de la République du Kosovo, par le biais des lois pertinentes, a donné à l’Avocat du peuple, des autorisations spécifiques, y compris des fonctions de supervision, dans le cadre des procédures disciplinaires des juges et des procureurs, qui sont administrées par les Conseils respectifs . En effet, et compte tenu de la nature des fonctions constitutionnelles de l’Avocat du Peuple, le législateur ne lui a même pas accordé la compétence de nommer/élire ses adjoints, qui sont élus par l’Assemblée à la majorité des députés présents. Par conséquent, la Décision précise que le pouvoir de l’Avocat du peuple pour élire les membres non-procureurs du Conseil des Procureurs n’est pas conforme à la Constitution.

(iv) Majorité Décisionnelle au Conseil des Procureurs

En ce qui concerne le processus de prise de Décision au sein du Conseil des Procureurs, la Décision stipule d’abord que l’article 110 de la Constitution comporte deux paragraphes déterminants: le paragraphe 4 de l’article 110 de la Constitution, selon lequel, entre autres, le règlement intérieur du Conseil est déterminé par une loi approuvée par l’Assemblée ; et le paragraphe 1 de l’article 110 de la Constitution, selon lequel le Conseil jouit d’une complète indépendance dans l’exercice des pouvoirs constitutionnels. Dans le cadre de ce dernier, la Décision rappelle également que, sur la base des Avis cités de la Commission de Venise, mais aussi dans sa pratique judiciaire, le mode de prise de décision des institutions constitutionnelles indépendantes est essentiel à l’exercice indépendant de leurs fonctions.

De plus la Décision stipule selon la disposition déterminant le mode de prise de Décision, les Décisions au sein du Conseil sont prises à cinq (5) voix, soit à la majorité qualifiée des deux tiers (2/3) dans une composition de sept (7) membres, sous réserve que dans cette majorité il y ait également deux (2) voix de membres non-procureurs. Après l’avis de la Commission de Venise concernant la possibilité de bloquer la prise de décision et recommandant par conséquent l’inclusion d’un mécanisme de prise de décision de déblocage, la loi contestée a été complétée à l’Assemblée, ajoutant le deuxième tour de scrutin, déterminant à nouveau la décision à la majorité de deux tiers (2/3) des membres du Conseil, c’est-à-dire le vote d’au moins un (1) membre non-procureur du Conseil élu à la majorité simple par l’Assemblée.

Dans le cadre de l’appréciation constitutionnelle de cette disposition de la Loi contestée et si celle-ci porte atteinte à la pleine indépendance constitutionnelle du Conseil, la Décision souligne qu’il est important d’examiner (i) la nature des questions soumises à une telle prise de Décision ; et (ii) la composition du Conseil des Procureurs, y compris le mode d’élection de ses membres non-procureurs.

Concernant la première question, la Décision précise que la prise de décision du Conseil qui est soumise à la majorité qualifiée des deux tiers (2/3) à deux tours de scrutin, entre autres, est liée aux fonctions les plus essentielles du Conseil des Procureurs, dans l’exercice desquelles il jouit de la pleine indépendance constitutionnelle, définie par les articles 109 et 110 de la Constitution, en ce qui concerne (i) la proposition du Procureur de la République ; et l’approbation des actes relatifs (ii) au recrutement, à la proposition, à la promotion, à la mutation et à la discipline des procureurs. Concernant la deuxième question, la Décision stipule que (i) dans le contexte de la conclusion de la Cour selon laquelle le pouvoir de l’Avocat du peuple de nommer/élire un (1) membre du Conseil n’est pas conforme à la Constitution ; et (ii) compte tenu de la détermination de la loi contestée selon laquelle les membres non-procureurs du Conseil sont élus simultanément et à la majorité simple à l’Assemblée, il résulte que la prise de décision au sein du Conseil des Procureurs concernant ses fonctions constitutionnelles les plus essentielles pourrait être conditionnée par le vote d’un des membres non-procureurs élu par l’Assemblée à la majorité simple. La Cour stipule qu’une telle solution n’est conforme ni aux Avis de la Commission de Venise, ni à l’indépendance constitutionnelle garantie au Conseil en vertu du paragraphe 1 de l’article 110 de la Constitution, ni au principe de séparation et d’équilibre des pouvoirs en un état démocratique. Par conséquent, la Décision précise que le mode de prise de Décision établi par le Conseil conformément à la loi contestée n’est pas conforme à la Constitution.

Cela dit, se référant aux Avis de la Commission de Venise, la Décision souligne également que dans le cadre de la composition précise du Conseil par la loi contestée, la majorité simple, mais aussi la majorité qualifiée, ont leurs lacunes, car (i) en cas de vote à la majorité simple, il serait possible que les procureurs membres gouvernent seuls et une telle solution pourrait également violer l’essence du principe selon lequel les Conseils doivent avoir une composition pluraliste ; tandis que, (ii) en cas de vote à la majorité qualifiée et sans mécanisme de déblocage significatif et efficace, il serait possible que des membres non-procureurs élus simultanément et à la majorité simple par l’Assemblée bloquent potentiellement toute prise de décision. Dans ce contexte, la Décision met en lumière les principes de la Commission de Venise, concernant les possibilités de composition des conseils des procureurs, y compris l’équilibre du nombre de membres procureurs et non-procureurs et la manière de choisir ces derniers.

(v) Différence de traitement liée aux voies de recours et à la protection judiciaire des droits

En ce qui concerne le droit à un recours légal et à la protection judiciaire des droits des membres du Conseil des Procureurs en cas de révocation, la Décision stipule tout d’abord que les articles 24, 32 et 54 de la Constitution doivent être interprétés dans le contexte du paragraphe 1 de l’article 110 de la Constitution, à savoir la complète indépendance du Conseil dans l’exercice de ses fonctions. La Décision souligne le fait que l’indépendance du Conseil est liée à l’indépendance de ses membres respectifs et que le mode d’élection et de révocation de ses membres est essentiel à cet égard. La Décision note que cette question n’a pas fait l’objet des deux avis de la Commission de Venise concernant la loi contestée.

La Décision précise en outre que la loi contestée, contrairement aux lois précédentes, définit une différence de traitement entre les membres procureurs et non-procureurs du Conseil des Procureurs, en ce qui concerne le recours juridique disponible en cas de révocation. La Décision précise également que selon la loi contestée, (i) les membres procureurs du Conseil sont révoqués après un vote à la majorité des deux tiers (2/3) au sein du Conseil et ont alors le droit de faire appel directement devant la Cour suprême, qui statue dans les trente (30) jours ; tandis que (ii) leurs collègues non-procureurs, après proposition du Conseil, sont révoqués par l’Assemblée, à la majorité simple des députés présents et votants, par opposition à la majorité de tous les députés de l’Assemblée définie par la Loi, et n’ont pas le droit de faire appel directement à la Cour suprême. En application des principes découlant de sa pratique judiciaire et de celle de la CEDH dans ce contexte, la Cour a constaté que si un recours judiciaire, à savoir la procédure de conflit administratif devant le Tribunal de première instance, existe également pour les membres non-procureurs, la différence de traitement entre membres procureurs et non-procureurs concernant le recours légal pertinent et la protection judiciaire des droits, n’est pas conforme à la Constitution.

(vi) Résiliation par la loi des mandats d’une institution constitutionnelle indépendante

Concernant la résiliation des mandats des membres du Conseil, à savoir la résiliation des mandats en cours et sans droit de recours judiciaire (i) pour six (6) des neuf (9) membres procureurs par tirage au sort ; et (ii) des membres non- procureurs par la loi, la Décision précise d’abord que la Constitution comporte deux articles déterminants, l’article 4 et l’article 110 de la Constitution, respectivement. Le premier, dans son paragraphe 1, définit que le Kosovo est une République démocratique fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs, du contrôle et de l’équilibre entre eux, tel que défini par la Constitution, tandis que le deuxième, (i) dans son paragraphe 1, définit que le Conseil des Procureurs est une institution totalement indépendante dans l’exercice de ses fonctions conformément à la loi ; et (ii) dans son paragraphe 4, il stipule que la composition du Conseil des Procureurs, y compris les dispositions relatives au mandat, sont régies par la loi.

Dans le cadre de la sécurité des mandats des membres des institutions constitutionnelles indépendantes, la Décision clarifie d’abord (i) la pratique judiciaire pertinente de la Cour ; et ensuite (ii) la pratique judiciaire de la CEDH et de la CJUE. En ce qui concerne le premier point, la Cour a estimé que la résiliation prématurée des mandats constitutionnels et/ou des mandats légaux des institutions constitutionnelles indépendantes n’est soumise qu’aux conditions définies dans la Constitution et/ou les lois d’où découlent les mandats respectifs.

Une telle position, en principe, a également été défendue par la CEDH et la CJUE, entre autres, dans les affaires Baka c. Hongrie, Grzeda c. Pologne, C-619/18, Commission européenne c. Pologne et C-192/18 , Commission européenne c. Pologne, respectivement. Dans le cadre de ces Décisions et en tenant toujours compte des différences et des similitudes entre elles, il résulte en principe que (i) la résiliation prématurée des mandats dans tous les cas, résultait, entre autres, de l’adoption de nouvelles lois au nom des réformes du système judiciaire et la CEDH et la CJUE, en concluant respectivement à des violations de la Convention européenne et du droit de l’Union européenne, n’avaient pas pris en compte les arguments des gouvernements respectifs selon lesquels le maintien des mandats existants constituerait un obstacle aux réformes envisagées ; (ii) la sécurité des mandats constitutionnels et légaux est essentielle pour l’indépendance des institutions indépendantes, et leur résiliation prématurée ne peut se faire que sur la base des dispositions et procédures pertinentes spécifiées dans les constitutions et/ou les lois d’où ils découlent ; (iii) l’existence de voies de recours efficaces pour contester les décisions pertinentes sur la base desquelles les mandats ont été résiliés prématurément est importante et leur absence a entraîné une violation de la Convention européenne dans les affaires précitées de la CEDH ; et (iv) exceptionnellement, les mandats acquis peuvent être résiliés par anticipation, cependant toute initiative/réforme légale pouvant entraîner la résiliation des mandats respectifs, doit poursuivre un but légitime et doit être proportionnel au but poursuivi, et dans ce contexte, entre d’autres, la pratique judiciaire susmentionnée, en mettant l’accent sur l’affaire Grzeda, tient également compte de l’approche du législateur quant à la sécurité des mandats pendant l’existence des institutions concernées.

Les avis pertinents de la Commission de Venise, tels que précisés dans la Décision, adoptent en principe la même position. Ils soulignent l’importance de préserver les mandats des membres des institutions constitutionnelles, qu’ils soient définis ou non par la Constitution et/ou la loi. En principe, et selon la Commission de Venise, la résiliation prématurée des mandats doit toujours être liée à une violation identifiable ou à un manquement à l’obligation du membre concerné et suivre la base, y compris la procédure constitutionnelle/légale de révocation ou de résiliation du mandat d’où ils découlent parce qu’autrement et entre autres, la résiliation des mandats des institutions constitutionnelles pourrait dépendre en permanence des préférences du pouvoir exécutif et/ou législatif.

Cela dit, les deux avis de Venise concernant la loi contestée, dans ce contexte et entre autres, soulignent que (i) les dispositions de la Loi contestée qui permettent la prolongation des mandats d’une partie des membres du Conseil des Procureurs, « respectent plus » les normes internationales par rapport au modèle préliminaire de la Loi contestée, qui avait proposé la résiliation immédiate de tous les mandats du Conseil des procureurs ; et (ii) les membres du Conseil des Procureurs, en principe, devraient être autorisés à terminer leur mandat, mais exceptionnellement, la résiliation des mandats peut être acceptable, si elle se traduit par “une amélioration apparente du système actuel et si le gouvernement démontre de manière convaincante que leur remplacement sert un intérêt public vital et conduit généralement à l’amélioration du système”.

Dans ce contexte, la Décision stipule que l’amélioration de l’équilibre entre le nombre des membres procureurs et non-procureurs au sein du Conseil des procureurs contribue, en principe, à l’amélioration de la légitimité démocratique de celui-ci, toujours s’il est suivi des mécanismes nécessaires pour assurer son indépendance complète. Cependant, et avec la prudence soulignée dans les principes susmentionnés, et compte tenu que (i) la pratique judiciaire de la Cour, a toujours stipulé que la révocation des mandats des membres d’une institution constitutionnelle indépendante doit être liée aux motifs déterminés pour la résiliation des mandats conformément à la loi dont ils découlent; (ii) malgré les réformes continuelles concernant le Conseil des Procureurs au fil des ans, y compris les changements dans sa composition, à l’exception de la suppression de la représentation d’office du ministre de la Justice au sein du Conseil, qui a été proposée par le ministère compétent et n’a jamais été contestée, les mandats des membres du Conseil des Procureurs ont été continuellement préservés jusqu’à leur expiration naturelle, grâce aux dispositions transitoires de toutes les lois pertinentes, y compris lorsque le Conseil des Procureurs a été créé pour la première fois en vertu de l’article 110 de la Constitution après la déclaration d’indépendance de la République du Kosovo, et ceci en harmonie avec la pratique judiciaire de la CEDH, ce qui est un indicateur clair de l’importance de la sécurité des mandats des institutions constitutionnelles indépendantes dans l’ordre juridique de la République du Kosovo ; et de plus, (iii) du fait que la Cour ait constaté qu’un certain nombre de dispositions essentielles de la loi contestée ne sont pas conformes à la Constitution, la Décision stipule enfin que la résiliation des mandats des membres du Conseil des Procureurs conformément à la loi contestée, ne peut même pas servir de motif convaincant pour une « amélioration visible du système » et qui pourrait servir à un objectif légitime et proportionné, sur la base duquel la résiliation des mandats d’une institution constitutionnelle indépendante pourrait être exceptionnellement autorisée, créant ainsi un précédent lourd de conséquences pour la sécurité et l’indépendance de l’exercice de la fonction d’institutions constitutionnelles indépendantes et, par conséquent, également pour l’ordre démocratique et l’État de droit dans la République du Kosovo.

Enfin, la Décision stipule que les requêtes ont été soumises à la Cour sur la base du paragraphe 5 de l’article 113 de la Constitution et que cette catégorie de requêtes a un caractère suspensif, à savoir qu’une telle loi peut être envoyée à la Présidente de la République du Kosovo pour promulgation qu’après Décision de la Cour et selon les modalités définies dans la Décision finale de la Cour pour l’affaire contestée. Dans le cadre de sa pratique judiciaire, telle qu’élaborée dans la Décision, la Cour estime qu’elle a tenu compte de la nature des dispositions de la loi contestée déclarées contraires à la Constitution et du fait qu’il serait difficile que le reste de la loi contestée s’applique après la promulgation des dispositions précitées comme invalides, pour servir le principe de sécurité juridique, la Loi contestée devrait être déclarée invalide dans son intégralité.

Requérants:

KO 100/22, avec les requérants : Abelard Tahiri et dix (10) autres députés et KO 101/22, avec les requérants : Arben Gashi et dix (10) autres députés de l'Assemblée de la République du Kosovo

Type de requête :

KO- Requête par les organismes d’état

Type de l’acte:

Jugement

Atteinte aux droits constitutionnels

Article 4, Article 24 – Egalité devant la loi, Article 32 le droit à des recours légaux, Article 52 – La responsabilité du Milieu de Vie, Article 65 , Neni 110, Neni 132

Type de procédure poursuit devant les autres institutions :

Autre