Jugement

Contrôle constitutionnel des “actions et inactions” du Tribunal le tribunal de première instance, le parquet de Gjilan, le commesariat de police de Graçanica et du parquet de Prishtina

Numéro de l’affaire KI129/21

Requérants: Velerda Sopi

Télécharger :

KI129/21, Requérante, Velerda Sopi, Contrôle constitutionnel des “actions et inactions” du Tribunal le tribunal de première instance, le parquet de Gjilan, le commesariat de police de Graçanica et du parquet de Prishtina

KI129/21, Arrêt du 7 mars 2023, publié le 22 mars 2023

Mots-clés: Renvoi individuel, droit à la vie, violence domestique, manquement des autorités de l’État à protéger le droit à la vie de la mère du Requérant, Convention d’Istanbul, Renvoi recevable, violation

La Cour constitutionnelle de la République du Kosovo a rendu et publié la décision dans l’affaire KI129/21, soumise par Velerda Sopi. Cette dernière, s’appuyant sur le paragraphe 7 de l’article 113 [Compétence et Parties autorisées] de la Constitution de la République du Kosovo, a contesté devant la Cour les « actions et inactions » des autorités de l’État, à savoir le tribunal de première instance de Gjilan, le parquet de Gjilan, le commissariat de police de Graçanica et le parquet de Prishtina, lesquelles, selon elle, ont entraîné la violation du droit à la vie de sa mère, à savoir feu S.M., en violation : (i) du droit à la vie garanti par l’article 25 [Droit à la vie] de la Constitution de la République du Kosovo et par l’article 2 (Droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme; et (ii) des obligations des autorités étatiques énoncées aux articles 18 (Obligations générales), 50 (Réaction, prévention et protection immédiates) et 51 (Évaluation et gestion des risques) de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’encontre des femmes et la violence domestique, à savoir la Convention d’Istanbul.

La Cour a décidé à l’unanimité que la demande était recevable et a constaté que la police du Kosovo, respectivement le commissariat de police de Graçanica, et le bureau du procureur, à savoir le parquet de Pristina, n’avaient pas rempli : (i) leurs obligations positives de protection de la vie de S.M.- garanties par le paragraphe 1 de l’article 25 [Droit à la vie] de la Constitution et le paragraphe 1 de l’article 2 (Droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme ; et (ii) les obligations définies par le paragraphe 4 de l’article 18 (Obligations générales), le paragraphe 1 de l’article 50 (Réponse, prévention et protection immédiate), le paragraphe 1 de l’article 51 (Évaluation des risques et gestion des risques) et le paragraphe 1 de l’article 55 (Procédures ex parte et d’office) de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

La Cour souligne que dans les circonstances de l’affaire spécifique qui sont élaborées en détail dans la décision publiée, selon les rapports respectifs de violence domestique et en s’appuyant sur les documents du dossier de l’affaire, deux catégories de procédures ont été développées. La première, dans le cas de violences conjugales signalé le 10 novembre 2019 et pour laquelle les procédures afférentes ont été menées par le Commissariat de Police, le Parquet et le Tribunal de première instance de Gjilan tandis que la seconde, dans le cas de violence domestique signalé le 3 mars 2021 et pour laquelle la procédure a été menée au commissariat de police de Graçanica et au parquet de Prishtina.

Concernant la première catégorie de procédures, en s’appuyant sur les pièces du dossier, il ressort que la procédure a commencé avec la notification du cas de violence domestique le 10 novembre 2019 au Commissariat de Gjilan et s’est clôturé le 27 janvier 2020 avec la décision du tribunal de première instance de Gjilan par lequel le mari de la défunte S.M. a été déclaré coupable d’avoir commis les infractions pénales visées au paragraphe 1 de l’article 248 (Violence domestique) et au paragraphe 3.1 de l’article 184 (Agression) du Code pénal de la République du Kosovo. Comme expliqué dans la décision publiée, durant cette période, les autorités de Gjilan, selon leurs compétences respectives, avaient : (i) décidé de la mesure de détention ; (ii) délivré une Ordonnance de Protection pour une durée de douze (12) mois ; (iii) déposé la plainte pénale; (iv)  déposé l’acte d’accusation ; et (v) déclaré L.S. coupable des infractions pénales spécifiées ci-dessus. Cela dit, la décision publiée souligne le fait que le tribunal de première instance de Gjilan a remplacé la peine de prison de L.S. par une amende de mille trois cents (1.300) euros. L’ordonnance de protection correspondante avait expiré le 26 novembre 2020.

Concernant la deuxième catégorie de procédures, en s’appuyant sur les pièces du dossier, il ressort que la procédure a commencé avec la notification du cas de violence domestique le 3 mars 2021 au commissariat de police de Graçanica. Comme expliqué dans la décision publiée, sur base des pièces du dossier, il résulte que le lendemain : (i) L.S. avait fait sa déclaration ; et ii) S.M.la sienne, selon le rapport de police, cette dernière avait entre autres souligné qu’”elle ne voulait pas poursuivre l’affaire« . Le 14 mars 2021, S.M. a été assassinée par L.S., qui s’est ensuite suicidé.

Dans le cadre des précisions susmentionnées et en ayant en considération les prétentions de la requérante, la Cour s’est concentrée sur l’évaluation du respect des obligations positives de l’État en relation avec la deuxième catégorie de procédures, toujours dans le contexte de la première catégorie. À cet égard, la Cour a d’abord développé les principes généraux dans le cadre des obligations positives de l’État qui découlent, entre autres, de l’article 25 de la Constitution, de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la pratique judiciaire respective de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de la Convention d’Istanbul.

Considérant les principes susmentionnés, et en mettant l’accent sur les critères issus de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris les décisions dans les affaires Opuz c. Turquie, Kurt c. Autriche, X et Y c. Bulgarie et Landi c. Italie, la Cour a évalué si les autorités de l’État, à savoir le commissariat de police de Graçanica et le parquet de Prishtina : (i) avaient réagi immédiatement ; (ii) avaient fait une bonne évaluation de la menace, laquelle, selon la pratique judiciaire susmentionnée, doit être autonome, proactive et globale ; (iii) étaient conscients ou auraient dû être conscients du danger immédiat et réel pour la vie de S.M. ; et (iv) avaient pris des mesures préventives pour protéger ou prévenir la privation de la vie de S.M.

En s’appuyant sur l’évaluation des critères susmentionnés, la Cour souligne le fait que : (i) les agents de police du commissariat de Graçanica, avaient réagi immédiatement en se rendant sur les lieux et en interrogeant le suspect L.S., mais, entre autres, ils n’avaient pas suivi les étapes procédurales définies par la loi contre la violence domestique et les procédures d’action standard, contournant également le remplissage des formulaires standards concernant l’évaluation des risques et ne notifiant pas le Centre d’Action sociale et de Protection des victimes, et qui, selon le loi précitée, auraient pu prendre des mesures supplémentaires pour protéger S.M. ; tandis que (ii) pendant une période de dix (10) jours, le Parquet de Prishtina « était dans la phase de collecte des preuves et des informations nécessaires pour éclaircir les circonstances factuelles qui n’étaient pas connues des organes compétents », indépendamment du fait que les autorités compétentes disposaient de données exactes, après les violences du 10 novembre 2019 de L.S.: (i) une ordonnance de protection avait été émise pour une durée de douze (12) mois ; et (ii) il y avait eu une condamnation pour infraction pénale de violence domestique et d’agression par le tribunal de première instance de Gjilan. Le tribunal a également souligné le fait que la déclaration de la défunte S.M. qu' »elle ne pouvait pas se présenter à la police et qu’elle avait demandé à ce que L.S. ne soit pas emprisonné, mais qu’il soit éventuellement libéré », fondé sur les obligations positives de l’État garanties par l’article 25 de la Constitution en relation avec l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que les articles 18, 50, 51 et 55 de la Convention d’Istanbul, ne dispense aucune institution étatique de l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires définies par les lois et règlements applicables pour protéger la victime de violence domestique.

Après évaluation pertinente de chaque critère séparément, la Cour a conclu qu’en violation des garanties constitutionnelles susmentionnées, mais aussi des lois applicables dans la République du Kosovo, y compris la loi contre la violence domestique et les procédures opérationnelles standard, mais aussi des pratiques judiciaires de la CEDH, en vertu de laquelle toutes les autorités publiques sont tenues d’interpréter les libertés et droits fondamentaux, les autorités compétentes : (i) n’ont pas réagi immédiatement ; (ii) n’ont pas procédé à une véritable évaluation des risques, laquelle doit être autonome, proactive et immédiate ; (iii) et dans les circonstances de l’affaire concrète, étaient conscientes ou auraient dû être conscientes du danger immédiat et réel pour la vie de S.M compte tenu du fait que L.S., avait déjà été condamné pour l’infraction pénale de violence domestique ; et (iv) n’avaient pas pris de mesures préventives pour protéger ou prévenir la privation de la vie de S.M..

Enfin et en relation avec l’effet de cette décision, il a été souligné que la Cour n’a pas l’autorisation légale de déterminer l’indemnisation des dommages dans les cas où elle constate des violations des dispositions constitutionnelles respectives, mais a précisé que la requérante a le droit d’avoir recours aux autres moyens légaux disponibles pour la poursuite de la réalisation des droits à l’indemnisation correspondante conformément aux conclusions de la décision présente. 

Enfin, il convient de souligner qu’au-delà de la décision publiée aujourd’hui, qui précise les obligations de l’État dans le cadre des violences domestiques et la protection du droit à la vie, en ayant en considération les garanties constitutionnelles, mais aussi les instruments internationaux directement applicables dans l’ordre juridique de la République du Kosovo, y compris les principes qui découlent de la pratique judiciaire de la Cour européenne des droits de l’homme, par la décision dans l’affaire KI41/12, avec les requérants Gëzim et Makfire Kastrati, publiée le 26 février 2013, la Cour a également constaté une violation de l’article 25 de la Constitution et de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, y compris des violations des articles 32 [Droit à un recours légal] et 54 [Protection judiciaire des droits] de la Constitution. Cette décision de 2013 a également souligné les obligations des autorités de l’État dans le cadre de la prise des mesures nécessaires contre la violence domestique et de la protection du droit à la vie. Par ailleurs, la Cour rappelle que la Convention d’Istanbul est directement applicable en République du Kosovo depuis l’adoption des amendements constitutionnels le 25 septembre 2020. Cette dernière inclut également l’obligation de l’État, à savoir la République du Kosovo, de déterminer des recours juridiques efficaces et une indemnisation adéquate pour les victimes de violence domestique en cas de manquement de l’État à remplir les obligations pertinentes dans ce contexte.

Requérants:

Velerda Sopi

Type de requête :

KI- Requête individuelle

Type de l’acte:

Jugement

Atteinte aux droits constitutionnels

Article 25 – Le droit à la vie

Type de procédure poursuit devant les autres institutions :

Autre