Avis de décision dans l’affaire KO157/23

25.06.2024

La Cour Constitutionnelle de la République du Kosovo a statué sur la requête dans l’affaire KO157/23, concernant l’appréciation de la constitutionnalité de la Décision [no. 08-V-583] du 13 juillet 2023 de l’Assemblée de la République du Kosovo, portant sur la révocation de la membre du Conseil de l’Organe de Contrôle des Marchés Publics (OCMP). La demande d’appréciation de la constitutionnalité de la Décision de l’Assemblée susvisée a été soumise à la Cour par Vlora Dumoshi et onze (11) autres députés de l’Assemblée du Kosovo, sur base des autorisations définies au paragraphe 5 de l’article 113 [Juridiction et parties autorisées] de la Constitution de la République du Kosovo.

Dans l’affaire KO157/23, la Cour a statué (i) à l’unanimité de déclarer la requête recevable ; et (ii) avec huit (8) voix pour et une (1) contre, que la Décision [no 08-V-583] du 13 juillet 2023 de l’Assemblée de la République du Kosovo portant révocation de la membre du Conseil d’administration de l’ OCMP, n’est pas conforme au paragraphe 9 de l’article 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] et au paragraphe 1 de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution.

L’Arrêt de la Cour précise d’abord que les circonstances de l’espèce sont liées à la révocation de la membre du Conseil d’administration de l’OCMP – par la décision contestée de l’Assemblée de la République, du 13 juillet 2023. Comme précisé dans l’arrêt, la révocation de la membre du Conseil d’Administration de l’OCMP avait été précédée par la Décision[PSH. 397/409/22] du Conseil de l’OCMP du 11 octobre 2022, par laquelle avait été annulée la notification du pouvoir adjudicateur, à savoir le Ministère de la Santé, annulant l’activité de passation de marché intitulée “ Fourniture d’insulines analogiques de la liste essentielle Lot 1 et Lot 3 ”. La décision susmentionnée du Comité de révision de l’OCMP avait été rendue à l’unanimité, après la plainte de deux (2) opérateurs économiques et après examen de l’expertise de l’expert en passation des marchés pertinent, en précisant que l’Avis sur l’annulation de l’activité de passation des marchés du Ministère de la Santé était annulé et que l’affaire faisait l’objet d’une réévaluation. La décision susmentionnée du Comité de révision de l’OCMP, à la demande du Ministère de la Santé, a été soumise à l’évaluation des tribunaux ordinaires, respectivement du Tribunal de première instance de Prishtina et de la Cour d’appel, qui ont rejeté le procès, respectivement la plainte au Ministère de la Santé comme étant inadmissible. En conséquence, le Gouvernement de la République du Kosovo avait proposé de révoquer la présidente du Comité de révision de l’OCMP qui avait rendu la décision susmentionnée, pour “violation de l’éthique professionnelle ”. Cette proposition du Gouvernement a été examinée par la Commission du Budget, du Travail et des Transferts de l’Assemblée de la République du Kosovo, qui a décidé de recommander à l’Assemblée la désapprobation, à savoir le rejet de la proposition du Gouvernement de la République du Kosovo de révocation de la membre du Conseil d’Administration de l’OCMP. Cependant, l’Assemblée de la République du Kosovo, lors de la séance plénière du 13 juillet 2023, sur la base de la proposition du Gouvernement, par la Décision contestée, avait démis la membre du Conseil d’Administration de l’OCMP de ses fonctions.

Les requérants devant la Cour ont contesté la constitutionnalité de cette décision de l’Assemblée, alléguant, entre autres, qu’elle avait été prise en violation du pouvoir de contrôle de l’Assemblée, conformément aux dispositions du paragraphe 9 de l’article 65 [Pouvoirs de l’Assemblée ] et de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution, soulignant en substance (i) l’absence de base légale pour la révocation en question ; (ii) la violation de l’indépendance fonctionnelle de l’OCMP; (iii) l’ingérence dans le pouvoir du pouvoir judiciaire pour évaluer la légalité des décisions de l’OCMP; et (iv) la violation des droits et libertés fondamentaux de la membre de l’OCMP démise de ses fonctions. Le groupe parlementaire du mouvement VETËVENDOSJE! s’est opposé aux allégations des requérants.

Dans le contexte des questions susmentionnées, l’Arrêt souligne tout d’abord le fait que les circonstances et les allégations susmentionnées, entre autres, ont soulevé des questions liées : (i) au pouvoir constitutionnel de l’Assemblée de la République du Kosovo concernant le contrôle des travaux des institutions publiques, qui, en vertu de la Constitution et des lois, font rapport à l’Assemblée ainsi que les limitations pertinentes dans l’exercice de cette fonction de contrôle en vertu de la Constitution et des lois approuvées par l’Assemblée ; (ii) l’indépendance des Agences indépendantes créées en vertu de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution, y compris le statut et l’indépendance fonctionnelle et décisionnelle de l’OCMP selon les lois applicables aux marchés publics ; et (iii) le pouvoir de l’Assemblée, dans l’exercice de sa fonction de contrôle, de révoquer les membres de l’OCMP et les limites pertinentes fondées sur les lois applicables aux marchés publics.

Dans le contexte des principes découlant de l’analyse des principes constitutionnels, l’Arrêt précise d’abord que l’Assemblée exerce sa fonction en vertu, entre autres, de l’article 4 [Forme de Gouvernance et Séparation des Pouvoirs] et de l’article 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] de la Constitution, y compris le pouvoir (i) d’approuver des lois, résolutions et autres actes généraux ; et (ii) de superviser les travaux du gouvernement et des autres institutions publiques qui, en vertu de la Constitution et des lois, rendent compte à l’Assemblée. Selon les précisions apportées dans l’Arrêt, ces deux pouvoirs constituent l’essence de la fonction constitutionnelle de l’Assemblée. Cela dit et en vertu, entre autres, des articles 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] et 74 [Exercice de la Fonction] de la Constitution, dans le cadre du pouvoir constitutionnel de contrôle, l’Assemblée est conditionnée à l’exercice de cette fonction conformément (i) aux dispositions constitutionnelles, y compris celles définies respectivement par les articles 3 [Égalité devant la loi], 4 [Forme de Gouvernance et Séparation des Pouvoirs] et 7 [Valeurs] de la Constitution ; et (ii) aux limites et autorisations définies dans les lois approuvées par l’Assemblée elle-même en ce qui concerne les institutions publiques qui dépendent de/sont supervisées par l’Assemblée. Selon les précisions apportées dans l’Arrêt, dans le cadre de l’exercice de la fonction de contrôle par l’Assemblée des Agences Indépendantes créées en vertu de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution, dans lesquelles est également inclus l’ OCMP en raison de ses caractéristiques en vertu des lois applicables en matière de marchés publics, mais aussi de la Loi no. 06/L-113 sur l’Organisation et le Fonctionnement de l’Administration de l’État et des Agences Indépendantes, les limites de contrôle de l’Assemblée fondées sur le paragraphe 9 de l’article 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] de la Constitution en relation avec le paragraphe 1 de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution et des lois relatives aux marchés publics en République du Kosovo, telles qu’approuvées par l’Assemblée elle-même ont une importance particulière.

L’arrêt précise ensuite que, en vertu de l’article 142 [Agences indépendantes] de la Constitution, les Agences indépendantes sont créées par des lois de l’Assemblée qui réglementent leur création, leur fonctionnement et leurs pouvoirs; ces dernières, sur base de l’article susmentionné de la Constitution, exercent leurs fonctions indépendamment de tout autre organe ou autorité de la République du Kosovo et, en outre, tout organe, institution ou autre autorité exerçant un pouvoir légitime dans la République du Kosovo est tenu de coopérer et de répondre aux demandes de celles-ci dans l’exercice des pouvoirs légaux, conformément à la loi. En outre, en vertu des dispositions de la Loi n° 04/L-042 sur les marchés publics de la République du Kosovo et des modifications et compléments pertinents à cette loi, entre autres, (i) l’OCMP est un organe de contrôle indépendant et exerce l’autorité, les pouvoirs, les fonctions et responsabilités définis dans la Loi sur les marchés publics ; et (ii) aucune personne ou agent public ne peut exercer ou tenter d’exercer une influence politique ou une influence illégale sur l’ OCMP ou l’un de ses employés sur quelque décision que ce soit. En outre et selon les précisions apportées, la Loi susmentionnée définit les relations de l’OCMP avec le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif. Dans le premier cas, le droit applicable détermine que la légalité des décisions de l’OCMP est soumise à un contrôle judiciaire. Tandis que, dans le second, le droit applicable définit les relations entre l’Assemblée et l’OCMP, liées à la nomination des membres de l’OCMP, aux obligations de rapport et à la révocation des membres de l’OCMP. Concernant ces derniers, selon les précisions apportées dans l’Arrêt, compte tenu de l’importance de l’indépendance fonctionnelle de l’OCMP, les lois applicables, au fil des années, ont précisé que la révocation des membres de l’OCMP ne peut se faire qu’après que les motifs de la révocation aient été confirmés par la décision des tribunaux, tandis qu’avec les modifications et compléments à la Loi sur les Marchés Publics du mois de mars 2016, exceptionnellement, il est également devenu possible pour le gouvernement de proposer à l’Assemblée la révocation du président ou d’un membre de l’OCMP, « s’il/elle agit contrairement à l’éthique professionnelle liée à ses fonctions », en vertu de quoi a été rendue la révocation du membre de l’OCMP dans les circonstances de l’espèce.

Cependant, sur base des éclaircissements donnés dans l’Arrêt, ni le Gouvernement ni l’Assemblée n’ont donné de justification concernant la prétendue violation de “l’éthique professionnelle” de la membre de l’OCMP , selon laquelle la proposition et la révocation de celle-ci ont été faites. La Commission des Budgets, du Travail et des Transferts avait recommandé de ne pas approuver la proposition de révocation du Gouvernement. En outre, le Tribunal de première instance et la Cour d’appel avaient rejeté comme irrecevables le procès et la plainte du Ministère de la Santé visant l’annulation de la décision de l’OCMP. En fait, dans les circonstances de l’affaire, il résulte que la membre de l’OCMP a été licenciée pour sa prise de décision liée à la délivrance de la Décision de l’OCMP sur l’annulation et la réévaluation de l’Avis du Ministère de la Santé sur l’annulation de l’ activité en question du marché public.

Selon les précisions apportées dans l’Arrêt et en s’appuyant sur les garanties constitutionnelles et juridiques, ainsi que sur la pratique judiciaire de la Cour, y compris dans le contexte des révocations de membres d’institutions/agences et/ou d’organes indépendants en raison d’une prise de décision, la Cour souligne que l’indépendance individuelle et collégiale des membres de l’OCMP signifient non seulement l’indépendance face aux influences extérieures que peuvent avoir les membres de l’OCMP, mais également face aux influences de l’organe qui les a nommés au sein des postes concernés – en l’occurrence, l’Assemblée. Cette indépendance incarne l’intention selon laquelle les membres des organes concernés sont libres d’exercer leurs fonctions sans crainte de conséquences sur l’exercice de leurs fonctions conformément aux autorisations accordées par les lois applicables. Ces derniers, dans la mesure où cela est pertinent dans les circonstances de l’espèce, déterminent à juste titre que (i) la légalité de la décision de l’OCMP est soumise au contrôle judiciaire ; tandis que (ii) les membres de l’OCMP sont suspendus et/ou démis de leurs fonctions, respectivement sur dépôt d’un acte d’accusation ou d’une décision de justice définitive. La possibilité de révocation d’un membre de l’OCMP pour “éthique professionnelle” ne peut pas être formellement utilisée pour justifier le licenciement d’un membre de l’OCMP pour une prise de décision dans des cas concrets, si la violation des règles “d’éthique professionnelle” n’est pas convaincante. Un tel précédent, sur la base duquel les membres de l’OCMP pourraient être révoqués pour leur prise de décision, porterait gravement atteinte à l’indépendance fonctionnelle de l’OCMP et à la finalité même de son existence, conformément aux dispositions des lois applicables.

Dans son Arrêt, la Cour a enfin réitéré que l’autorisation de l’Assemblée en vertu du paragraphe 9 de l’article 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] de la Constitution de superviser l’OCMP est incontestable, mais que dans l’exercice de cette autorisation, l’Assemblée se limite aux dispositions constitutionnelles, y compris l’indépendance des agences indépendantes conformément aux dispositions de la Constitution et aux lois que l’Assemblée elle-même a adoptées en vertu du paragraphe 1 de l’article 65 [Pouvoirs de l’Assemblée] de la Constitution. L’Arrêt souligne également les valeurs de l’ordre constitutionnel de la République du Kosovo, y compris les principes du respect des droits et des libertés de l’homme, de l’état de droit et de la séparation et de l’interaction des pouvoirs, qui ont été élaborés au fil des années par la pratique judiciaire de la Cour, y compris dans le contexte de l’importance de l’indépendance dans la prise de décision dans l’exercice des fonctions publiques conformément aux dispositions de la Constitution et des lois applicables.

Cet Arrêt sera également complété par une opinion et dissidente.

Cette traduction n’est pas officielle et ne peut servir qu’ à des fins d’information.

Remarque: Ce communiqué de presse a été préparé par le Secrétariat de la Cour uniquement à titre informatif. Le texte intégral de la décision sera remis aux parties impliquées dans l’affaire, sera publié sur le site Internet de la Cour et au Journal officiel, après l’achèvement des procédures pertinentes définies dans la loi sur la Cour constitutionnelle et son règlement de procédure. Le résumé publié par le biais du présent avis peut faire l’objet de corrections linguistiques et techniques dans le projet final de décision. Pour recevoir les notifications des décisions de la Cour constitutionnelle, veuillez vous inscrire sur le site Internet de la Cour: https://gjk-ks.org