Avis de décision dans l’affaire KO 79/23

26.12.2023

La Cour Constitutionnelle de la République du Kosovo a statué concernant la requête dans l’affaire KO 79/23, présentée par l’ Avocat du Peuple, sur la base des dispositions de l’alinéa (1) du paragraphe 2 de l’article 113 [Juridiction et Parties autorisées] de la Constitution, concernant l’appréciation de la constitutionnalité de la loi n° 08/L-196 sur les Salaires dans le Secteur Public.

La Cour, à l’unanimité, a décidé de déclarer la demande recevable et de constater, à l’unanimité, que : (i) le paragraphe 2 de l’article 2 (Portée) et le paragraphe 2 de l’article 45 (Abrogation) lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 24 (Prime pour conditions du marché du travail), le paragraphe 5 de l’article 25 (Indemnité de performance), le paragraphe 4 de l’article 28 (Prime pour volume de travail) et les paragraphes 2 et 3 de l’article 42 (Détermination de l’équivalence) de la Loi contestée, ne sont pas conformes au paragraphe 1 de l’article 4 [Forme de Gouvernement et Séparation des Pouvoirs] et au paragraphe 1 de l’article 7 [Valeurs] de la Constitution ; (ii) le paragraphe 6 de l’article 6 (Salaire de base) de la Loi contestée n’est pas conforme aux paragraphes 1 et 2 de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en conjonction avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole n° 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme; (iii) le paragraphe 2 de l’article 41 (Indemnité transitoire) de la Loi contestée, n’est pas conforme aux paragraphes 1 et 2 de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en conjonction avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole n° 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et le paragraphe 1 de l’article 4 [Forme de gouvernement et séparation des pouvoirs] et le paragraphe 1 de l’article 7 [Valeurs] de la Constitution ; (iv) le paragraphe 3 de l’article 41 (Indemnité transitoire) de la Loi contestée, n’est pas compatible avec les paragraphes 1 et 2 de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en conjonction avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole n° 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et le paragraphe 1 de l’article 24 [Égalité devant la loi] de la Constitution en conjonction avec l’article 14 (Interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ; (v) le paragraphe 4 de l’article 41 (Indemnité transitoire) de la Loi contestée, n’est pas compatible avec le paragraphe 1 de l’article 24 [Égalité devant la loi] de la Constitution en conjonction avec l’article 1 (Interdiction générale de discrimination) du Protocole n° 12 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; (vi) les paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 41 (Indemnité transitoire) et le paragraphe 2 de l’article 45 (Abrogation) de la Loi contestée sont déclarés invalides dès l’entrée en vigueur de l’Arrêt ; (vii) et conformément au paragraphe 1 de l’article 116 [Effet juridique des Décisions] de la Constitution, d’ordonner à l’Assemblée de la République du Kosovo, dans les six (6) mois à compter de l’entrée en vigueur de l’Arrêt, de prendre les mesures nécessaires visant à compléter et à modifier le paragraphe 2 de l’article 2 (Portée) et le paragraphe 6 de l’article 6 (Salaire de base) de la Loi contestée, conformément à la Constitution et au présent Arrêt ; (viii) jusqu’à modification et complément du paragraphe 2 de l’article 2 (Portée) de la Loi contestée, le paragraphe 3 de l’article 2 (Portée), le paragraphe 2 de l’article 22 (Primes), le paragraphe 5 de l’article 24 (Primes pour conditions du marché du travail), le paragraphe 8 de l’article 25 (Indemnité de performance), le paragraphe 7 de l’article 28 (Prime pour volume de travail) et le paragraphe 4 de l’article 42 (Détermination de l’équivalence), sont appliqués conformément à la Constitution et au présent Arrêt ; et (ix) le présent Arrêt entrera en vigueur le 1er février 2024.

L’ Arrêt précise d’abord que la Loi contestée a été publiée au Journal officiel le 5 janvier 2023 et qu’elle est entrée en vigueur le 5 février 2023. La même loi a été approuvée après que la loi précédente, à savoir la Loi n° 06/L-111 sur les salaires dans le secteur public, à la demande de l’Avocat du Peuple, ait été déclarée contraire à la Constitution par l’ Arrêt KO219/19. L’ Arrêt précise en outre que la loi contestée, dans le but de créer un “système uniforme de salaires dans le secteur public”, abroge (i) la Loi n° 03/L-147 sur les salaires des agents publics ; (ii) certaines dispositions de lois spéciales relatives aux institutions et agences indépendantes ; et (iii) toute loi et autres actes qui sont incompatibles avec ses dispositions. Selon les précisions données dans l’ Arrêt, celui-ci, à travers les annexes pertinentes, classe tous les fonctionnaires/agents et employés publics qui entrent dans le champ d’application de la loi contestée, en postes, groupes, classes et coefficients. L’effet de cette catégorisation en relation avec la valeur du coefficient défini par la Loi n° 08/L-213 portant modification et complément à la loi n° 08/L-193 sur les Dotations budgétaires de la République du Kosovo pour l’année 2023 s’est traduite par une augmentation substantielle du montant de salaire d’une partie des agents du secteur public et une réduction substantielle du montant de salaire d’une autre partie. Les catégories concernées par la réduction de salaire bénéficient d’une période transitoire de deux (2) ans après l’entrée en vigueur de la loi, à savoir (i) durant la première année, cent pour cent (100%) de l’indemnité transitoire et par conséquent, tout au long de cette année, elles ne sont pas concernées par la réduction du montant de salaire ; tandis que (ii) au cours de la deuxième année, cinquante pour cent (50 %) de l’indemnité transitoire. L’Arrêt précise également que des droits de la période transitoire sont exclus (i) les membres du service extérieur de la République du Kosovo, qui sont par conséquent affectés par une déduction immédiate de leurs salaires du fait de l’entrée en vigueur de la Loi contestée; et (ii) toutes les personnes employées dans le secteur public après l’entrée en vigueur de la Loi contestée. Ensuite, selon les précisions fournies dans l’ Arrêt, la loi contestée (i) délègue également la détermination de la valeur du coefficient à une autre loi, à savoir la loi sur les Dotations budgétaires de la République du Kosovo ; (ii) précise que la réduction du montant des salaires dans la République du Kosovo ne peut se faire qu’en cas de deux circonstances exceptionnelles, à savoir un “choc macroéconomique” ou la déclaration de l’état d’urgence ; (iii) précise les règles de détermination des catégories d’indemnités et de primes, y compris les plafonds/limites budgétaires pertinents, en précisant également que ces questions sont régies exclusivement par la présente loi et ne peuvent être davantage réglementées que par d’autres actes ; et (iv) détermine la compétence du Ministère de l’Intérieur, pour approuver, entre autres, les questions liées à la structure, aux composants ou aux niveaux de coefficients dans les institutions publiques de la République du Kosovo.

L’Arrêt précise également que la Loi contestée a déjà produit ses effets sur les catégories dont le montant de salaire a été augmenté, ainsi que sur les catégories dont le montant de salaire a été réduit et qui n’ont pas été soumises à la protection pendant la période transitoire, respectivement ( i) pour tous les fonctionnaires/agents/employés pour les quinze (15) premières années d’expérience professionnelle, car le montant de l’indemnité d’expérience professionnelle a été réduit de moitié dès l’entrée en vigueur de la Loi contestée ; et (ii) pour le service extérieur de la République du Kosovo, qui est exempté du droit à l’indemnité transitoire. A l’issue de la durée d’un (1) an de la période/indemnité transitoire, soit à compter du 5 février 2024, une réduction de cinquante pour cent (50%) de l’indemnité transitoire affectera tous les fonctionnaires/agents/employés qui relèvent du champ d’application de la loi et dont le montant de salaire a été réduit conformément aux dispositions de la loi contestée.

L’Avocat du Peuple, s’appuyant sur cent quatre (104) plaintes déposées auprès de son Institution par des fonctionnaires/agents/employés, organisations et associations, avec des allégations de violation des droits et libertés fondamentaux à la suite de la réduction du montant des salaires dans le secteur public, en substance, devant la Cour affirme que la loi contestée a été adoptée en violation (i) des droits et libertés fondamentaux, y compris le droit à l’égalité devant la loi et le droit au respect de la propriété ; et (ii) de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs dans la République du Kosovo, en violation des garanties constitutionnelles de l’indépendance des institutions indépendantes. L’Avocat du Peuple affirme plus précisément que la loi contestée est contraire au principe de l’État de droit, de sécurité juridique et de prévisibilité, entre autres, parce qu’elle délègue la détermination de la valeur du coefficient à la Loi sur les Dotations budgétaires, une loi qui a été adoptée après l’entrée en vigueur de la loi contestée, entraînant une réduction sélective et arbitraire du montant des salaires d’une partie importante du secteur public, contrairement aux dispositions de la loi contestée elle-même, selon lesquelles, la réduction des salaires ne peut être qu’une conséquence d’un choc macroéconomique ou de la déclaration de l’état d’urgence dans la République du Kosovo. En outre, l’Avocat du Peuple allègue que (i) la réduction disproportionnée du montant de salaire des juges et des procureurs est en totale contradiction avec la Constitution, les lois applicables, les normes internationales et les arrêts de la Cour Constitutionnelle ; (ii) la réduction arbitraire du montant de salaire du service extérieur de la République du Kosovo, en tant que seule catégorie du secteur public que la loi contestée exclut de la période de transition de deux (2) ans, est contraire aux principes d’égalité devant la loi ; (iii) tous les employés du secteur public après l’entrée en vigueur de la loi contestée sont traités de manière inégale pendant la période transitoire, car ils ne perçoivent pas “un salaire égal pour un travail égal”, contrairement aux garanties de la loi contestée ; (iv) le droit au respect des biens de tous les fonctionnaires/agents/employés publics ayant jusqu’à quinze (15) ans d’expérience professionnelle, a été violé à la suite de la réduction du montant de l’indemnité d’expérience professionnelle, sans aucune poursuite de but légitime ; (v) l’indépendance fonctionnelle, organisationnelle et budgétaire du pouvoir judiciaire et des institutions constitutionnelles indépendantes a été enfreinte en violation totale des garanties constitutionnelles et de la pratique judiciaire de la Cour constitutionnelle; et (vi) l’Arrêt de la Cour Constitutionnelle KO219/19, par lequel la Loi précédente sur les salaires dans le secteur public a été déclarée contraire à la Constitution et par lequel ont été définis les principes qui doivent être respectés en matière de salaires dans le secteur public n’a pas été appliqué par le Gouvernement et l’Assemblée. Par ailleurs, l’Avocat du Peuple demande à la Cour que seule la partie ayant pour effet de réduire les salaires soit soumise à l’appréciation de la constitutionnalité de la Loi contestée et non la partie relative à la catégorie dont les salaires ont été augmentés, car les droits de ces derniers, n’ont pas été violés par la Loi contestée.
Le Gouvernement, par l’intermédiaire du Ministère de l’Intérieur, s’est opposé aux allégations de l’Avocat du Peuple. Selon les précisions apportées dans l’Arrêt, il souligne que le but de la Loi contestée est “l’harmonisation des salaires dans le secteur public” et qu’en outre, elle n’a pas eu pour effet la réduction du niveau des salaires dans le secteur public. Ceci, selon le Ministère, entre autres du fait que (i) la valeur du coefficient n’a pas été définie par la Loi contestée, mais par la loi sur les dotations budgétaires, qui n’a pas été contestée devant la Cour ; (ii) la Loi contestée est prévisible car elle définit les circonstances dans lesquelles la réduction de salaire pourra être opérée dans le futur, tandis qu’elle définit une période de transition de deux (2) ans, pendant laquelle le montant des salaires réduits sera maintenu selon la progressivité prescrite; (iii) l’indépendance du pouvoir judiciaire n’a pas été enfreint car les salaires des juges et des procureurs n’ont pas été réduits, mais ont été augmentés, compte tenu du fait que la Décision [n° 20/14] du 20 décembre 2017 du Gouvernement qui avait entraîné une augmentation des salaires des juges et des procureurs, avait été émise en violation de la loi applicable et, par conséquent, a été abrogée par le Gouvernement actuel par la décision [n° 03/109] du 23 novembre 2022. De plus, selon le Ministère de l’Intérieur et entre autres, (i) en vertu de la Constitution, c’est le gouvernement qui propose et l’Assemblée qui approuve le budget de la République du Kosovo ; (ii) la loi contestée est conforme à la séparation et à l’équilibre des pouvoirs et ne viole pas l’indépendance des institutions indépendantes ; et (iii) la progressivité de la valeur de l’indemnité d’expérience professionnelle est conforme à l’intention du législateur de « soutenir et stimuler la contribution en tant que service à l’État et à la société ».
Dans le contexte de la portée de l’appréciation, l’Arrêt souligne tout d’abord et entre autres que (i) l’Assemblée a la pleine compétence constitutionnelle pour l’adoption de lois et la sélection des politiques qui les font appliquer, pour autant que les lois adoptées soient dans le respect de la Constitution et des valeurs et principes qui y sont proclamés; et (ii) selon sa pratique judiciaire consolidée, dans l’appréciation de la constitutionnalité des actes contestés, la Cour se concentre uniquement sur l’interprétation et la protection des normes constitutionnelles et non sur l’évaluation du choix de politique publique qui a conduit à l’adoption d’une loi.

Dans le contexte susmentionné et dans le cadre de l’appréciation de la constitutionnalité de la loi contestée, l’Arrêt, entre autres, élabore d’abord (i) les principes généraux liés à la séparation et à l’interaction des pouvoirs dans la République du Kosovo, y compris l’indépendance du pouvoir judiciaire, du système de poursuites et des institutions constitutionnelles indépendantes ; (ii) les principes généraux issus de la pratique judiciaire pertinente de la Cour Constitutionnelle, en mettant l’accent sur les arrêts qui, au fil des années, ont spécifiquement développé les questions liées à l’indépendance fonctionnelle, organisationnelle et budgétaire des institutions constitutionnelles indépendantes, y compris dans le contexte de leur organisation interne et la réglementation des spécificités liées à leur personnel ; et (iii) les principes définis par l’Arrêt de la Cour KO219/19 concernant les salaires dans le secteur public, y compris dans le contexte de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs et des droits et libertés fondamentaux. En outre, l’Arrêt développe également les principes généraux découlant des pratiques internationales pertinentes, notamment (i) des Avis de la Commission de Venise ; (ii) de la pratique judiciaire de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJCE), à travers laquelle des plaintes pour violations des droits et libertés fondamentaux à la suite de la réduction des salaires/avantages dans le secteur public ont été examinées; et (iii) de la jurisprudence d’autres cours constitutionnelles dans l’examen des lois relatives aux salaires dans le secteur public, y compris, mais sans s’y limiter, les Cours Constitutionnelles/Suprêmes de Bosnie-Herzégovine, du Canada, de Lettonie, de Pologne, du Portugal, de Chypre, de Slovénie et de la République d’ Albanie.
L’Arrêt rappelle également le fait que, dans son Arrêt KO219/19, la Cour a spécifiquement noté que, sur la base des principes constitutionnels, des lois applicables en République du Kosovo et des principes internationaux pertinents (i), les salaires des juges et des procureurs ne peuvent être réduits pendant l’exercice de leurs fonctions, sauf si la réduction en question est opérée proportionnellement et dans le cadre de crises économiques officiellement reconnues; (ii) l’indépendance fonctionnelle, organisationnelle et budgétaire des institutions constitutionnelles indépendantes doit être respectée ; (iii) la charge de la réduction des salaires, si elle est déjà jugée nécessaire en raison de la crise économique, doit être proportionnelle, de sorte qu’aucun secteur ne prenne à lui seul la charge principale ; et (iv) le Gouvernement, en tant que proposant des lois et l’Assemblée, en tant que législateur, lors de l’élaboration de la législation relative aux salaires dans le secteur public, soit par une loi générale, soit par certaines lois spéciales ou même par l’amendement des lois existantes doivent tenir compte du degré de prévisibilité, dans le cadre du principe de sécurité juridique et de l’État de droit, y compris les droits constitutionnels sur l’égalité devant la loi et le respect de la propriété, de toutes les personnes susceptibles d’être affectées par la réduction possible du montant des salaires.

Compte tenu des principes susmentionnés et développés en détail dans l’Arrêt et de la connexion entre les allégations et les dispositions contestées, l’appréciation de la constitutionnalité de la loi susmentionnée aboutit en principe à des conclusions de la Cour qui sont liées à deux catégories de cas, à savoir (i) le système des salaires et primes et des procédures y afférant, dans la mesure où il affecte l’indépendance fonctionnelle, organisationnelle et budgétaire des institutions constitutionnelles indépendantes ; et (ii) les droits et libertés fondamentaux en ce qui concerne la réduction du niveau de salaire des fonctionnaires/agents/employés publics.

(i) Règles et conditions de détermination du montant des salaires liés au système de justice et aux institutions constitutionnelles indépendantes

L’Arrêt souligne que la loi contestée précise, entre autres, les règles de détermination des indemnités, primes et équivalences, y compris la création de nouvelles fonctions, postes ou titres dans les institutions publiques. Dans le cadre des employés (i) de la Présidence de la République du Kosovo ; (ii) de la Cour Constitutionnelle ; (iii) du Système judiciaire ; (iv) de l’Assemblée de la République du Kosovo ; et (v) des institutions constitutionnelles indépendantes, il précise qu’ “elle s’applique dans la mesure où cela ne porte pas atteinte à leur indépendance fonctionnelle et organisationnelle garantie par la Constitution ”. Toutefois, malgré une telle formulation, la loi contestée (i) précise également que les règles et conditions de détermination des salaires, indemnités et primes des employés du secteur public sont exclusivement soumises à la réglementation de cette loi et peuvent également être régulées par des actes autres que ceux de la loi uniquement lorsque cela est expressément prévu par la présente loi ; et (ii) abroge toute disposition de la loi ou autre acte légal, y compris les dispositions pertinentes des lois spéciales des institutions indépendantes et leurs règlements, qui régulent la question des salaires, compensations, indemnités, primes ou autre catégorie dans le domaine de salaires, et qui n’a pas été expressément autorisé selon les dispositions de la présente loi. Par conséquent et selon les précisions apportées dans l’Arrêt, la réalisation de l’indépendance fonctionnelle, organisationnelle et de la gestion indépendante budgétaire des institutions constitutionnelles indépendantes, est conditionnée uniquement à la promulgation de règlements dans les limites spécifiques de la loi contestée. Une telle approche n’a pas été suivie dans le contexte des institutions indépendantes à travers la loi n° 08/L-197 sur les agents publics, qui a été soumise au contrôle de constitutionnalité par les Arrêts KO216/22 et KO220/22 de la Cour, loi qui reconnait aux institutions mentionnées ci-dessus le droit d’exercer également des fonctions pertinentes par des lois spéciales. Selon les précisions apportées, une telle définition de la loi contestée conditionne et enfreint l’indépendance des institutions indépendantes, en mettant l’accent sur deux catégories de questions, à savoir celles liées à (i) la détermination du montant des indemnités sur le salaire de base ; et (ii) la détermination des équivalences.
Dans le contexte de la première question, à savoir les conditions et les plafonds budgétaires pour la détermination des indemnités, l’Arrêt précise que, selon la loi contestée, le montant des indemnités est en principe déterminé à la valeur de zéro virgule un pour cent (0,1 %) à zéro virgule cinq pour cent (0,5%) du total des fonds utilisés pour le salaire de base des agents publics de l’organisme budgétaire concerné au cours du même exercice budgétaire, et qu’à cette fin, le Gouvernement est traité comme un (1) organisme budgétaire unique. Au-delà du constat selon lequel le conditionnement des institutions indépendantes à remplir leur indépendance constitutionnelle uniquement par la promulgation de règlements dans les circonstances prévues par la loi contestée porte atteinte à leur indépendance organisationnelle et budgétaire, l’Arrêt souligne, entre autres, trois faits, à savoir (i) la réalisation de l’objectif des normes définissant les plafonds budgétaires des indemnités est liée au total des fonds dont dispose l’institution concernée pour le salaire de base, et dans le contexte que le Gouvernement serait traité comme un (1) organisme budgétaire unique et compte tenu du fait que le total des fonds dont il dispose est incomparablement supérieur à ceux des institutions constitutionnelles indépendantes, le Gouvernement se trouve dans une position plus favorable par rapport aux autres institutions ; (ii) en outre, moins de deux (2) mois après l’entrée en vigueur de la loi contestée, par le biais de la loi n° 08/L-213 portant modification et complément à la loi n° 08/L-193 portant dotations budgétaires au budget de la République du Kosovo pour l’année 2023, le gouvernement a été autorisé à dépasser les plafonds budgétaires des primes définis par la loi contestée, par décision du ministre, exemptant ainsi au moins le gouvernement des limitations de la loi contestée ; et (iii) la loi contestée a fixé une valeur de trente pour cent (30%) des indemnités au-dessus du traitement de base correspondant pour les députés de l’Assemblée et/ou les membres des assemblées municipales. Une telle approche, par laquelle, par essence, les pouvoirs et institutions constitutionnels indépendants sont les seuls soumis à des restrictions, notamment des plafonds budgétaires dans le cadre des primes, n’est pas compatible avec la garantie constitutionnelle de leur indépendance institutionnelle et de l’équilibre de l’interaction entre pouvoirs.
Attendu que, dans le cadre de la deuxième question, à savoir la définition des équivalences, l’Arrêt précise que la loi contestée interdit toute modification de la structure, des éléments ou des niveaux des coefficients salariaux et que toute création de nouveaux postes, fonctions ou désignations nécessite l’approbation du Gouvernement, respectivement du Ministère de l’Intérieur. Une telle définition juridique, par laquelle les questions liées à l’indépendance fonctionnelle et à l’organisation interne des institutions constitutionnelles indépendantes, doivent être soumises à l’approbation du Gouvernement, a déjà été déclarée contraire à la Constitution, dans un certain nombre d’arrêts de la Cour, notamment (i ) KO73/16 concernant l’appréciation de la constitutionnalité de la Circulaire administrative n° 01/2016 émise par le Ministère de l’Administration Publique ; (ii) KO171/18 concernant l’appréciation de la constitutionnalité de la loi no. 06/L-048 sur le Conseil de surveillance indépendant de la fonction publique du Kosovo ; (iii) KO203/19 concernant l’appréciation de la constitutionnalité de la loi n° 06/L-114 relative aux agents publics ; (iv) KO219/19 relatif à l’appréciation de la constitutionnalité de la loi n° 06/L-111 relative aux salaires dans le secteur public ; et enfin, (v) KO216/22 et KO220/22 concernant l’appréciation de la constitutionnalité de la loi n° 08/L-197 relative aux agents publics.

L’ Arrêt précise en outre que (i) toutes les institutions de la République du Kosovo sont soumises à l’obligation d’ appliquer les lois pertinentes concernant la gestion des finances publiques, les procédures d’audit interne conformément aux dispositions de la loi no. 06/L-021 sur le contrôle interne des finances publiques et le contrôle de l’Auditeur général de la République du Kosovo sur la base des dispositions des articles 136 [Auditeur Général du Kosovo] et 137 [Pouvoirs de l’Auditeur Général du Kosovo] de la Constitution; et (ii) rappelle que la Cour a continuellement souligné que l’indépendance constitutionnelle des institutions constitutionnelles indépendantes ne doit pas être comprise comme une autorisation constitutionnelle d’agir indépendamment des autres pouvoirs définis par la Constitution. L’Arrêt souligne cependant que l’exercice de ces fonctions publiques inclut l’obligation de chaque pouvoir de veiller au respect de l’indépendance du pouvoir, dans lequel il crée une “ingérence” au détriment de l’équilibre constitutionnel. Pour défendre ce principe, la Cour n’a cessé de souligner que le Gouvernement et l’Assemblée, dans l’exercice de leur pouvoir de proposer et de voter des lois, doivent veiller à préserver l’indépendance constitutionnelle du pouvoir judiciaire et des autres institutions étatiques qui sont couverts de garantie constitutionnelle d’indépendance “fonctionnelle, organisationnelle et budgétaire ” par la Constitution. La loi contestée, contrairement à l’indépendance constitutionnelle des institutions indépendantes et à la pratique judiciaire constante de la Cour constitutionnelle, ne respecte pas ce principe. En conséquence, la Cour a stipulé que le paragraphe 2 de l’article 2 (Champ d’application) et le paragraphe 2 de l’article 45 (Abrogation) en conjonction avec le paragraphe 2 de l’article 24 (Prime pour conditions du marché du travail), le paragraphe 5 de l’article 25 (Indemnités de performance), le paragraphe 4 de l’article 28 (Prime pour volume de travail) et les paragraphes 2 et 3 de l’article 42 (Détermination de l’équivalence) de la loi contestée, ne sont pas conformes au paragraphe 1 de l’article 4 [Forme de gouvernement et séparation des pouvoirs ] et au paragraphe 1 de l’article 7 [Valeurs] de la Constitution.

(ii) Droits et libertés fondamentaux concernant la réduction du niveau de salaire des fonctionnaires / agents /employés publics

En évaluant si la réduction du montant de salaire dans le secteur public a enfreint les droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution, l’Arrêt développe d’abord la pratique judiciaire de la CEDH dans le contexte de l’évaluation de la violation des droits résultant de la réduction de salaire/primes sociales lors de crises économiques et selon laquelle, il résulte que les salaires/avantages sociaux qui proviennent, entre autres, d’un droit concret dans les lois applicables, constituent un “ bien ” lié aux “ attentes légitimes ” et donc, sont considérés comme générant un intérêt de biens entrant dans le champ d’application de l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole n° 1 de la CEDH. En conséquence et en appliquant en outre les principes découlant de la pratique judiciaire susmentionnée, l’Arrêt précise qu’il n’est pas contesté que la réduction du montant des salaires dans le secteur public a entraîné une “ ingérence/restriction ” du droit au respect de propriété et qu’une telle “ ingérence /restriction ” est “ définie par la loi ” et poursuit “ un but légitime ”, à savoir celui de “ l’uniformité ” des salaires dans le secteur public. Cependant, l’Arrêt précise que dans les affaires examinées par la CEDH concernant la réduction des salaires/avantages sociaux, la réduction en question n’était pas le résultat d’un tel but légitime, mais une conséquence de crises économiques et/ou de mesures prises pour gérer les déficits budgétaires. Cela dit, l’Arrêt se concentre ensuite sur l’évaluation de la question de savoir si “l’ingérence/restriction “ des droits et libertés fondamentaux est “ proportionnelle “ au but poursuivi, et s’il existe un “ juste équilibre “ entre l’intérêt général et l’obligation de protéger les droits et libertés fondamentaux des personnes concernées, qui ne devraient pas supporter une charge proportionnellement plus lourde dans la réalisation de cet objectif. Dans cette appréciation, l’Arrêt se concentre sur cinq (5) catégories de fonctionnaires/agents/employés qui ont été affectés par la loi contestée, à savoir (a) les juges et les procureurs ; (b) les fonctionnaires/agents/autres employés qui sont concernés par la réduction du montant de salaire ; (c) le service extérieur de la République du Kosovo ; (d) les fonctionnaires/agents/employés qui ont été employés après l’entrée en vigueur de la loi contestée ; et (e) tous les employés du secteur public pour les quinze (15) premières années d’expérience professionnelle dans le cadre de la réduction de moitié du montant de l’indemnité d’expérience professionnelle par la loi contestée.

(a) Juges et Procureurs

L’Arrêt souligne, entre autres, que les normes constitutionnelles et internationales dans le contexte de l’indépendance du système judiciaire ont déjà été élaborées, au fil des années, à travers la pratique judiciaire de la Cour. L’Arrêt précise en outre que (i) en ce qui concerne le montant de salaire des juges et des procureurs, il existe des garanties découlant des instruments internationaux, constitutionnels et juridiques de la République du Kosovo ; (ii) les lois applicables de la République du Kosovo, à savoir la Loi sur les tribunaux et la Loi sur le Procureur de la République, garantissent le maintien du même montant de salaire pendant le mandat d’un juge et/ou d’un procureur, dispositions qui sont abrogées par la loi contestée; (iii) les juges et procureurs de la République du Kosovo sont la catégorie qui a été la plus touchée par la loi contestée, à savoir jusqu’à cinquante pour cent (50 %) de réduction du montant du salaire ; et (iv) sur la base de la pratique judiciaire de la CEDH, de la CJUE et des arrêts d’autres Cours constitutionnelles, les seuls cas dans lesquels les cours susmentionnées n’ont pas constaté de violations dans le contexte de la réduction du montant de salaire du pouvoir judiciaire, sont les circonstances de crises économiques/financières, au cours desquelles des mesures globales ont été prises pour stabiliser l’économie, entraînant des réductions temporaires et progressives des salaires de tous les agents publics, imposant aux juges et aux procureurs une charge égale à celle des autres fonctionnaires. Dans les circonstances de la Loi contestée, ce n’est clairement pas le cas. En outre, selon les précisions de l’Arrêt, l’augmentation des salaires des juges et des procureurs par la Décision [n° 20/14] du 20 décembre 2017 du Gouvernement, a été révisée par Arrêt de la Cour dans l’affaire KO12/18, qui a apprécié la constitutionnalité de la Décision précitée. Selon les explications fournies, la réduction disproportionnée du montant de salaire des juges et des procureurs de la République du Kosovo soulève non seulement des problèmes liés à la violation des droits et libertés individuels des juges et des procureurs, mais également de graves problèmes de violation de l’indépendance du pouvoir judiciaire, de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs ainsi que de l’équilibre constitutionnel et des valeurs de l’ordre constitutionnel de la République du Kosovo. En conséquence, la Cour a jugé que le paragraphe 2 de l’article 41 (Indemnité transitoire) de la loi contestée n’est pas compatible avec les paragraphes 1 et 2 de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en conjonction avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole n° 1 de la CEDH et le paragraphe 1 de l’article 4 [Forme de gouvernement et Séparation des pouvoirs] et le paragraphe 1 de l’article 7 [Valeurs] de la Constitution.

(b) Autres catégories de fonctionnaires, agents et employés qui sont concernés par la réduction de salaire en vertu de la loi contestée

L’arrêt rappelle que dans son Arrêt précédent relatif aux salaires dans le secteur public, à savoir l’ arrêt KO219/19, il a particulièrement été souligné que (i) tant que la constance des finances publiques est dans l’intérêt de tous, la réalisation de cet objectif doit être appliqué de manière universelle, à savoir que la charge doit être répartie de manière égale entre tous les fonctionnaires ; et (ii) la charge de la réduction des salaires, si jugée nécessaire en raison de la crise économique, doit être proportionnelle et inclure tout le monde de manière égale, afin qu’aucun secteur particulier ne supporte la charge principale. Une telle position est également soutenue par les normes internationales, notamment la pratique judiciaire de la CEDH. Cette dernière reflète certaines caractéristiques communes, à savoir que (i) les réductions des salaires /avantages et/ou la définitions/augmentation des taxes sont liées à la mise en place de mesures globales pour faire face aux crises économiques et/ou aux déficits budgétaires dans les États respectifs ; (ii) les réductions sont toujours temporaires, incluant parfois des mécanismes permettant aux salaires de revenir progressivement à leur montant antérieur ; et (iii) sont appliquées uniformément dans toute l’administration étatique. L’ Arrêt précise que la loi contestée est fondamentalement différente des circonstances susmentionnées, entre autres, parce que la réduction sélective du montant des salaires dans le secteur public (i) n’est en aucun cas liée à une crise économique, à un déficit budgétaire ou à des circonstances extraordinaires ; (ii) n’est ni temporaire ni uniforme ; (iii) a augmenté le montant de salaire d’une catégorie de fonctionnaires/agents et employés de manière substantielle, tout en affectant avec des réductions tout aussi importantes d’ autres catégories, notamment en excluant des catégories entières des droits de la période transitoire. Selon les précisions apportées, le mécanisme choisi par le législateur pour réaliser le but de la loi contestée ne remplit pas les obligations découlant de l’article 55 [Limitation des droits et libertés fondamentaux] de la Constitution, selon lequel, dans la limitation des droits et des libertés fondamentaux, les institutions publiques sont obligées d’évaluer la relation entre la limitation et l’objectif visé, ainsi que d’examiner la possibilité d’atteindre cet objectif avec moins de limitation. En imposant une charge disproportionnée uniquement à certaines catégories du secteur public, un “juste équilibre” n’a pas été atteint entre l’intérêt général et l’obligation de protéger les droits et libertés fondamentaux, avec pour conséquence la violation du droit au respect de la propriété de manière complètement disproportionnée. En conséquence, la Cour a conclu que les paragraphes 2 et 3 de l’article 41 (Indemnité transitoire) de la Loi contestée ne sont pas compatibles avec les paragraphes 1 et 2 de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en conjonction avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole n° 1 de la CEDH.

(c) Service extérieur de la République du Kosovo

L’Arrêt ci-dessous précise que le service extérieur de la République du Kosovo est proportionnellement parmi les plus touchés par la réduction du montant de salaire, avec la catégorie des juges et procureurs, mais contrairement à cette dernière, il est également exclu du droit à l’indemnité transitoire et a par conséquent été affecté par une déduction immédiate du montant de salaire avec l’entrée en vigueur de la loi contestée. En conséquence, et selon les précisions données dans l’arrêt, au-delà de la violation disproportionnée du droit au respect de la propriété, la catégorie du service extérieur de la République du Kosovo a également soulevé des questions liées à l’égalité devant la loi. Dans ce contexte, l’Arrêt développe les principes découlant de l’article 24 [Égalité devant la loi] de la Constitution en conjonction avec l’article 14 (Interdiction de la discrimination) et l’article 1 (Interdiction générale de la discrimination) du Protocole n° 12 de la CEDH- et dans l’application des critères pertinents pour définir si la « différence de traitement » entraîne une violation des dispositions susmentionnées, la Cour a statué que tel est le cas en ce qui concerne la catégorie du service extérieur de la République du Kosovo. Par conséquent, la Cour a conclu que le paragraphe 3 de l’article 41 (Indemnité transitoire) de la loi contestée n’est pas conforme aux paragraphes 1 et 2 de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en conjonction avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole N° 1 de la CEDH et avec le paragraphe 1 de l’article 24 [Égalité devant la loi] de la Constitution en conjonction avec l’article 14 (Interdiction de la discrimination) de la CEDH.

(d) Catégorie de fonctionnaires/agents/employés qui ont été employés après l’entrée en vigueur de la loi contestée

L’Arrêt précise également que, selon la loi contestée, toute personne employée après l’adoption de celle-ci bénéficie du salaire conformément aux annexes pertinentes de la loi et ne jouit pas du droit à l’indemnité transitoire. En conséquence, une partie de cette catégorie est rémunérée par un salaire inférieur et différent à travail égal dans le cadre de postes équivalents, pour une période de deux (2) ans, à savoir sur toute la durée de la période de transition. L’Arrêt précise en outre que cette catégorie, employée après l’entrée en vigueur de la loi contestée, n’est pas soumise aux garanties liées au droit au respect de la propriété dans le cadre du champ d’application de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en relation avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole n° 1 de la CEDH. Cela dit, cela soulève des questions liées aux principes d’égalité devant la loi garantis par l’article 24 [Égalité devant la loi] de la Constitution, car une partie des fonctionnaires/agents/employés qui relèvent du champ d’application de cette loi, mais qui ont été employés après l’entrée en vigueur de celle-ci, n’auront pas le même salaire que celui de leurs collègues qui étaient employés avant l’entrée en vigueur de la loi contestée, ce qui va à l’encontre des garanties mêmes comprises dans la loi contestée. Selon les précisions données dans l’Arrêt et dans l’application des critères pertinents liés aux droits à l’égalité devant la loi, la Cour a estimé que la “différence de traitement” entre ces deux catégories n’est pas proportionnelle au but poursuivi et entraîne par conséquent une violation des droits à l’égalité devant la loi de cette catégorie de fonctionnaires/agents et employés. En conséquence, la Cour a statué que le paragraphe 4 de l’article 41 (Indemnité transitoire) de la loi contestée n’est pas compatible avec le paragraphe 1 de l’article 24 [Égalité devant la loi] de la Constitution en relation avec l’article 1 (Interdiction générale de discrimination ) du Protocole n° 12 de la CEDH.

(e) Réduction de moitié du montant de l’indemnité d’expérience professionnelle pendant les quinze (15) premières années d’expérience professionnelle

L’ Arrêt précise également que la loi contestée divise par deux le montant de la prime d’expérience professionnelle, de zéro virgule cinq pour cent (0,5%) à zéro virgule vingt-cinq pour cent (0,25%), pour chaque année complète de travail sur les quinze (15) premières années d’expérience professionnelle, affectant le montant du salaire de tous les fonctionnaires/agents/employés qui relèvent du champ d’application de la Loi contestée. Selon les explications de l’Arrêt, il n’est pas contesté que le droit à la prime de salaire de base de zéro virgule cinq pour cent (0,5%) pour chaque année d’expérience professionnelle découle de l’article 18 (Prime de salaire pour expérience professionnelle) de la loi précédente, à savoir la Loi n° 03/L-147 sur les Salaires des Agents civils et, par conséquent, l’ “ingérence” dans ce droit à travers la loi contestée, est soumise au contrôle des garanties définies à l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en liaison avec l’article 1 (Protection de la propriété) du Protocole n° 1 de la CEDH. L’Arrêt, appliquant la pratique judiciaire de la CEDH, précise que, même s’il n’est pas contesté que l’ “ingérence” en question dans le droit au respect de la propriété est “définie” par la loi contestée, celle-ci ne suit aucun “ but légitime”. Ceci, entre autres, parce que la réduction de moitié du montant du Prime pour les quinze (15) premières années d’expérience de travail, (i) n’a été faite ni aux fins de la crise économique ni d’une situation extraordinaire, et (ii) ni aux fins de “l’uniformité du système salarial dans le secteur public ” que reflète le but de la loi contestée, mais (iii) selon le Ministère de l’Intérieur, elle a été faite pour “soutenir et stimuler la contribution comme service à l’État et à la société ”. Selon les précisions apportées dans l’Arrêt, un tel objectif ne reflète pas les obligations découlant de l’article 55 [Limitation des Droits et Libertés fondamentaux] de la Constitution, selon lequel la limitation des droits et libertés fondamentaux ne peut être effectuée à d’autres fins que ceux pour lesquels ils sont définis, d’autant plus qu’elle ne reflète pas l’obligation de l’autorité publique d’équilibrer la limitation et le but qu’on entend atteindre, en considérant la possibilité d’atteindre le but avec une limitation moindre. En conséquence, la Cour a conclu que le paragraphe 6 de l’article 6 (Salaire de base) de la loi contestée n’est pas conforme aux paragraphes 1 et 2 de l’article 46 [Protection de la propriété] de la Constitution en conjonction avec l’article 1 (Protection de la propriété). du Protocole n° 1 de la CEDH.

(iii) Effets des conclusions de la Cour

Enfin et dans le contexte des effets de l’Arrêt liés aux conclusions de la Cour concernant l’incompatibilité des dispositions susmentionnées de la Loi contestée avec la Constitution, sur la base des principes découlant des Avis pertinents de la Commission de Venise, de la pratique judiciaire de la CEDH et de la Cour, en mettant l’accent sur l’équilibre entre le principe de sécurité juridique et les droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution, l’Arrêt clarifie les quatre (4) principales catégories de ses effets, comme suit :

Premièrement, les conclusions de l’Arrêt n’affectent en rien la catégorie des fonctionnaires/agents/employés dont le montant de salaire a été augmenté par la Loi contestée.

Deuxièmement, la déclaration contraire à la Constitution et par conséquent l’abrogation des paragraphes 2 et 3 de l’article 41 (Indemnités transitoires) de la Loi contestée, a pour conséquence de maintenir le montant existant des salaires dans le secteur public jusqu’à ce que le nouveau salaire, à savoir celui défini par la Loi contestée, atteigne un montant équivalent au salaire existant. Ceci découle du paragraphe 1 de l’article 41 (Indemnités transitoires) de la Loi contestée, selon lequel, si un agent public ou un fonctionnaire public, avant l’entrée en vigueur de cette loi, percevait un salaire supérieur au salaire total prévu par la présente loi, il bénéficiera du nouveau salaire selon les dispositions de la présente loi et de l’indemnité transitoire égale à la différence entre le salaire actuel et le nouveau salaire de base. L’augmentation de la valeur du coefficient pour chaque exercice financier par rapport à la réduction proportionnelle de la prime transitoire, tout en maintenant le montant de salaire existant pour les catégories ayant subi des réductions de salaire, aboutit progressivement à une “ harmonisation/nivelisation” intégrale avec le montant du nouveau salaire, qui est défini par la Loi contestée dans les annexes pertinentes. Par ailleurs, la déclaration contraire à la Constitution et l’abrogation du paragraphe 3 de l’article 41 (Indemnités transitoires) de la Loi contestée, dans le cadre de la catégorie du service extérieur de la République du Kosovo, dès l’entrée en vigueur de l’Arrêt , renforce l’obligation de traitement de cette catégorie selon les définitions du paragraphe 1 de l’article 41 (Indemnités transitoires) de la Loi contestée.

Troisièmement, la déclaration contraire à la Constitution et, par conséquent, l’abrogation du paragraphe 4 de l’article 41 (Indemnités transitoires) de la Loi contestée, comprend l’obligation de remettre à niveau les salaires, à compter de l’entrée en vigueur de l’Arrêt, de la catégorie des personnes employées après l’entrée en vigueur de la loi susmentionnée, en vertu de son article 4 (Principes du système salarial), selon lequel, entre autres, « toute personne, sans aucune discrimination, a le droit de recevoir un salaire égal pour un travail égal ».

Quatrièmement, malgré le fait que (i) le paragraphe 6 de l’article 6 (Salaire de base) de la Loi contestée, concernant le montant de l’indemnité d’expérience professionnelle ; et (ii) le paragraphe 2 de l’article 2 (Champ d’application) de la Loi contestée relatif aux dispositions spécifiées dans la clause d’application de l’Arrêt, ont été jugés contraires à la Constitution, la Cour ne les a pas abrogés, car (i) l’abrogation de la première, liée au fait que la Loi contestée abroge également la loi n° 03/L-147 sur les salaires des agents publics, entraînerait un vide juridique en ce qui concerne le droit aux primes de salaire pour expérience professionnelle ; tandis que (ii) l’abrogation de la seconde affecterait l’application de la Loi contestée dans son intégralité. En conséquence, en vertu de l’article 116 [Effet juridique des décisions] de la Constitution, la Cour a ordonné à l’Assemblée de modifier et/ou de compléter les articles susmentionnés conformément à la Constitution et à l’ Arrêt de la Cour dans un délai de six (6) mois après l’entrée en vigueur du présent Arrêt avec la précision que dans le contexte (i) du paragraphe 6 de l’article 6 (Salaire de base) de la Loi contestée, les droits relatifs à la prime d’expérience professionnelle doivent être précisés par modification /complément de la Loi contestée par l’Assemblée, mais avec effet à compter de l’entrée en vigueur du présent Arrêt ; tandis que (ii) le paragraphe 2 de l’article 2 (Champ d’application) de la Loi contestée, l’indépendance fonctionnelle, organisationnelle et budgétaire des institutions constitutionnelles indépendantes, est interprété et appliqué conformément à la Constitution et à l’Arrêt de la Cour. Cette dernière, compte tenu des préparatifs nécessaires à la mise en œuvre de cet Arrêt, a défini que l’Arrêt entrera en vigueur le 1er février 2024.

Cette traduction n’est pas officielle et ne peut servir qu’ à des fins d’information.

Remarque: Ce communiqué de presse a été préparé par le Secrétariat de la Cour uniquement à titre informatif. Le texte intégral de la décision sera remis aux parties impliquées dans l’affaire, sera publié sur le site Internet de la Cour et au Journal officiel, après l’achèvement des procédures pertinentes définies dans la loi sur la Cour constitutionnelle et son règlement de procédure. Le résumé publié par le biais du présent avis peut faire l’objet de corrections linguistiques et techniques dans le projet final de décision. Pour recevoir les notifications des décisions de la Cour constitutionnelle, veuillez vous inscrire sur le site Internet de la Cour: https://gjk-ks.org